épisode

#38

2009, année zéro (terroriste)

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. Le 15 novembre, les neuf jeunes gens sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En 2009, les policiers continuent à surveiller, interpeller, sans grand résultat.

Non, l’affaire de Tarnac n’est pas un «fiasco judiciaire». Le 29 mai 2009, le procureur de la République à Paris, Jean-Claude Marin, se fend d’un communiqué pour préciser ce détail aux journalistes qui pourraient en douter. Il faut dire que la veille, Julien Coupat a été libéré. «Si la mise en examen d’une personne ne préjuge en rien de sa culpabilité, sa remise en liberté au cours de l’information judiciaire ne saurait être interprétée comme le signe de l’absence ou l’insuffisance de charges contre elle», précise le magistrat, qui avait tant fait pour la présomption de culpabilité des mis en examen lors de sa conférence de presse du 14 novembre (voir épisode 26). La pente médiatique est devenue franchement glissante. La pente judiciaire ne l’est pas moins.

Aucun des outils divers et variés, aucun objet, rien dans les perquisitions ne correspond à quelque chose qui aurait pu être utilisé pour fabriquer les crochets. Alors les policiers de la SDAT font le job que leur demande le magistrat instructeur, et s’attachent à l’aspect «conspiration internationale» du dossier.

«Une attitude moins agressive et beaucoup plus subtile»

Le 18 mai, dans les deux colocations rouennaises déjà visées le 11 novembre 2008, ils interpellent trois personnes qui ont rencontré Julien Coupat à Thessalonique (Grèce, voir épisode 25) en septembre 2008*. Lors des gardes à vue, deux se taisent, l’un parle:

«Il y a eu une rencontre. C’était pour parler avec des étrangers de ce qui se passait chez les uns et les autres au niveau politique. Il s’agissait de savoir comment se tenir au courant de ce qui se passait politiquement autrement que par les médias qui ne disent pas toute la vérité. Nous nous sommes rendus à Thessalonique dans le but d’assister à cette réunion. Accessoirement nous avons également fait un peu de tourisme pendant le séjour.»

Le chef de groupe de la SDAT, le capitaine AL, conclut sa synthèse sur une note frustrée:

«Enfin, concernant les déclarations des trois gardés à vue concernant le séjour en Grèce, il ressort que la mise au point d’une version commune mensongère préalablement à leur interpellation est indéniable, les trois mis en cause commençant, sans concertation, uniquement par reconnaître être allés à Patras (Grèce) aux fins de villégiature. Quant aux déclarations de (…) il convient de préciser que celui-ci a manifestement décidé d’adopter une attitude moins agressive et beaucoup plus subtile à notre égard ne reconnaissant que des éléments déjà connus du dossier ou qui selon lui semblaient l’être, sa version d’une réunion discrète de militants de la mouvance anarcho-autonome venus de toute l’Europe afin d’évoquer uniquement la situation dans leurs pays sans dire le moindre mot de leurs actions passées ou à venir semblant pour le moins édulcorée.»

«Aucun élément de nature à établir la participation de X aux faits de sabotage»

Le 28 avril, TP, qui avait prêté sa voiture à Manon G., Benjamin R., Gabrielle H. pour leur virée dans l’Est du 7 au 8 novembre 2008 (voir épisode 14), a eu droit aussi à sa garde à vue antiterroriste. Dans son coffre, les policiers trouvent 360 exemplaires de L’Insurrection qui vient, destinés à être vendus par le comité de soutien pour rassembler des fonds (TP anime le comité parisien). La notoriété du livre est telle que son éditeur, Eric Hazan, le donne aux différents comités de soutien pour qu’ils se fassent un peu d’argent.

Après trois jours, TP est relâchée.

Globalement, les comités de soutien intéressent beaucoup les policiers. Le 6 mars (le PV est daté du 5 mars, nouvelle erreur…), un rassemblement organisé pendant l’examen d’une des demandes en liberté de Julien Coupat donne lieu à une trentaine de photos, et à des filatures. Les membres des comités sont placés sur écoutes. Sans grands résultats. Le 23 juin, le patron de la SDAT en rend compte au juge:

«[Les écoutes ont permis de démontrer que X et Z] étaient très impliqués au sein du « comité de soutien aux inculpés de Tarnac » visant directement à la défense de Julien Coupat et entretenaient des contacts permanents avec certaines personnes composant le premier cercle de connaissances du mis en examen. Cependant, aucun élément de nature à établir la participation de X aux faits de sabotage objets de la présente instruction, n’a pu être recueilli.»

Le 30 avril, c’est la rencontre de Benjamin R. avec des responsables associatifs à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), qui fait l’objet d’un PV détaillé**.

«Les modes opératoires décrits sont accessibles à tous»

En août, la police scientifique rend son expertise sur un document consacré aux explosifs retrouvé dans l’ordinateur de Yildune Lévy:

«Le document soumis à notre expertise comporte 46 pages. Il s’agit d’un recueil parfois redondant de recettes et modes opératoires permettant de fabriquer certaines compositions inflammables ou explosives. Certains passages de ce document, vraisemblablement traduits de textes originaux en anglais apparaissent incohérents notamment en raison d’une traduction approximative. D’autres passages ont vraisemblablement été rédigés par des auteurs d’origine canadienne.

La quasi-totalité des articles retranscrits dans ce document font partie de la littérature classique que l’on peut trouver sur Internet. Ce document recense bon nombre de recettes transposables pour obtenir un engin explosif improvisé.

Nous retrouvons ainsi les moyens :

• d’obtenir une charge explosive soit de circonstance soit de type industrielle ou militaire,

• de mettre en place une ligne de mise à feu, électrique ou pyrotechnique, avec ou sans retard, de réaliser des engins susceptibles de générer des destructions importantes et des dangers pour les biens et les personnes.

Les modes opératoires décrits sont accessibles à tous aussi bien par la disponibilité des produits utilisés que par le caractère didactiques des énoncés.»

A l’été 2009, SG, la militante allemande proche de Julien Coupat, qui suscite l’intérêt du policier infiltré anglais (voir épisode 7), puis de la SDAT (voir épisode 21), est auditionnée à Berlin, tout comme HB, l’une de ses connaissances qui avait été poursuivi – sans suites – pour des sabotages de caténaires à l’aide de crochets métalliques en 1996-1997. Mais ni l’un ni l’autre ne répondent aux questions. Mais SG se rend au tribunal accompagnée, et déguisée en gorille jaune. Le juge Fragnoli est obligé de l’auditionner comme ça (sans la tête, quand même), le 17 juillet:

La procédure contre HB est jointe***.

Antiterrorisme, morne plaine. Pas tout à fait, quand même. A la fin de l’année, un dixième mis en examen va rejoindre le dossier.


*Détail étonnant: lors de l’une des arrestations, ils retombent sur une jeune fille, CA, qui avait fait l’objet d’un mandat de recherche pour la vague d’interpellations du 11 novembre 2008, car considérée comme faisant partie du noyau dur du groupe. Mais elle était absente ce jour-là, et entre-temps, elle avait été totalement oubliée de la procédure (voir épisode 19). Ce 18 mai, elle continue à l’être, puisque les policiers ne saisissent pas cette deuxième chance de l’entendre. CA, par chance ou négligence, aura donc échappé deux fois à ce qui ce serait certainement traduit par six ans de mise en examen. Elle gardera tout de même un souvenir de l’«affaire». L’histoire est racontée par Camille Polloni dans un excellent article des Inrocks. En mars 2011, à la suite de problèmes de batterie sur sa voiture, CA se rend chez le garagiste. Ce dernier découvre ceci sous le capot:

Une belle balise. Ce qui explique les soucis de batterie du véhicule: le gros problème des balises de géolocalisation est leur autonomie. Et il est évidemment très compliqué et risqué pour les policiers de changer leurs batteries. D’où ce dilemme entre des balises à la durée de vie limitée mais discrètes, ou des balises branchées. Manifestement moins discrètes.

**Lors de sa détention provisoire à Fresnes (Val-de-Marne) a croisé le chemin de jeunes gens mis en examen après les violentes émeutes de 2007 à Villiers-le-Bel. La rencontre donnera lieu, entre autres, à une tribune dans Le Monde.

***La procédure contre HB a été close sans poursuite par le parquet fédéral allemand en décembre 2002, ainsi que l’explique le magistrat de liaison français en Allemagne au juge d’instruction :

« La décision de classement sans suite du parquet général s’appuie sur les arguments suivants :

Bien qu’il ait la conviction que les individus précités ont dû jouer un rôle dans la préparation et/ou la conduite des attaques, il constate cependant il n’a pu être établi qu’ils ont personnellement perpétré ces attaques, ou que HB avait bien passé la communication établie sur l’un des lieux des attaques avec le portable qu’il avait loué.

De même, le fait que ces personnes aient influencé, poussé ou dirigé les personnes qui ont perpétré personnellement ces attaques, n’avait pu être établi également.

Dès lors l’infraction d’association de malfaiteurs en matière terroriste ne pouvait pas être caractérisée à leur encontre. »

 


Article original par Laurent Borredon publié le 25/07/2014

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Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. Le 15 novembre, les neuf jeunes gens sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En 2009, les policiers continuent à surveiller, interpeller, sans grand résultat.

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Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. Le 15 novembre, les neuf jeunes gens sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le juge Thierry Fragnoli est chargé de l’instruction.

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