épisode

#39

Le dixième mis en examen

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. Le 15 novembre, les neuf jeunes gens sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le juge Thierry Fragnoli est chargé de l’instruction.

Un peu plus d’un an après, l’histoire paraît se répéter. Le 24 novembre 2009, à 6h20, sept policiers se présentent dans l’un des appartements du bourg de Tarnac.

«Nous transportons au (…) à Tarnac. Où étant à 6h20, constatons qu’à cette adresse est implantée une large bâtisse d’une vingtaine de mètres de large. (…) Dès lors, pour accéder à l’appartement (…), empruntons un escalier situé en façade du bâtiment et nous trouvons face à une porte vitrée.

Munis de nos gilets siglés « Police », sonnons à de nombreuses reprises à la porte d’entrée du domicile en énonçant nos qualités. Après cinq minutes d’appels restant sans effet, décidons de procéder à l’ouverture forcée de la porte d’entrée en l’écartant légèrement avec un pied de biche, celle-ci cède sans effort et sans endommager la serrurerie.

Pénétrons alors à l’intérieur de l’appartement, composé au rez de chaussée d’une pièce centrale et d’une cuisine en énonçant nos qualités, l’inspection de ce niveau ne permettant la découverte d’aucun individu accédons à l’étage et dans la chambre située au fond du couloir constatons la présence dormant dans un lit d’un couple que nous identifions immédiatement comme étant les nommés : Christophe B. et Manon G., mise en examen dans le cadre de la présente information judiciaire.

Dès lors, nos qualités déclinées et le motif de notre visite exposé, procédons immédiatement à l’interpellation de Christophe B., il est 6h30.»

«Quels sont vos objectifs dans la vie ?»

Le jeune homme de 32 ans est placé en garde à vue. Comme un an auparavant, les questions politiques débutent:

Question : Pouvez-vous nous préciser si vous êtes militant d’un mouvement ou d’un parti politique ?

Réponse : Je n’ai rien à déclarer

Question : Etes-vous membre d’une association quelconque ?

Réponse : Je n’ai rien à déclarer.

Question : Que pouvez-vous exprimer sur la nature de vos idées politiques?

Réponse : Je n’ai rien à déclarer.

Question : Quelle sont les causes qui méritent d’être défendues selon vous ?

Réponse : Au vu de la situation qui est la mienne, je préférerais ne pas répondre à cette question et je souhaiterais voir mon avocat. J’ai bien compris que je ne pouvais pas y avoir accès pour le moment.

Question : Etes-vous satisfait du système politique et social auquel vous comme moi nous appartenons ?

Réponse : Je préfère ne pas répondre à cette question.

Mentionnons que l’intéressé éclate de rire.

Question : Quel est l’objet de votre hilarité ?

Réponse: C’est la situation, car étant menotté, et vous non, nos appartenances respectives au système politique n’est pas franchement le même. Sur le fond de la question, je ne compte pas m’exprimer avec vous plus avant.

Question : Que pensez-vous de l’ordre économique en place, à savoir l’économie de marché ?

Réponse : Je n’ai rien à répondre sur le sujet.

Question : Quels sont vos objectifs dans la vie ?

Réponse : Je n’ai rien à déclarer à ce propos.

Question : Vous sentez-vous proche des thèses défendues par l’extrême gauche française ?

Réponse : Je n’ai rien à répondre à cet égard.

Question: Avez-vous déjà participé à des manifestations, si oui lesquelles?

Réponse : Je n’ai rien à déclarer à ce sujet.

Question: A votre avis, le recours à la violence est-il justifiable quand il permet de lutter pour des idées ?

Réponse : Je n’ai rien à déclarer.

Question : Connaissez-vous le mouvement anarcho-autonome français ou son histoire ?

Réponse : Au vu de la situation qui est la mienne, je préfère ne pas répondre à cette question.

Question : Avez-vous déjà participé à des actions d’occupations illégales de locaux ?

Réponse : Je n’ai rien à déclarer.

Question : Avez-vous bien conscience que votre décision de garder le silence sur le thème de votre engagement idéologique et politique peut vous porter préjudice dans la mesure où elle ne nous permet pas de comprendre dans quel cadre s’inscrivent les faits qui vous sont reprochés sur lesquels nous allons vous interroger ultérieurement ? »

Réponse : J’entends bien ce que vous me dites. Je n’ai rien à ajouter à ce propos.

(…)

Question: Les éléments en notre possession semblent démontrer que votre engagement politique et militant occupe une place importante dans votre vie. Pourquoi ne pas vouloir nous en dire plus à ce sujet ?

Réponse : Je suis entendu dans le cadre d’une procédure anti-terroriste, je suis dans ce bâtiment pour quatre jours, il ne me semble pas que ce soit le lieu. Je n’ai donc rien à déclarer.

Question : Doit-on comprendre que ce choix de silence est un choix personnel?

Réponse : C’est la lecture d’un code qui m’a appris ce droit, ce qui m’a été confirmé par des avocats, au même titre que j’ai le droit à un médecin.

Question : Doit-on comprendre que vous vous êtes antérieurement renseigné sur vos droits dans l’optique d’une éventuelle garde à vue ?

Réponse : Je n’ai pas fait la démarche de me renseigner, je suis renseigné. Ce sont des informations qui circulent dans la société, dans la presse.

Question : En définitive, il s’agit de savoir si vous avez effectué personnellement des démarches auprès d’un avocat antérieurement à votre placement en garde à vue, ce qui pourrait laisser croire que vous vous êtes prémuni en prévision de la survenance de cet événement, et donc que vous aviez la connaissance de différents éléments qui pourraient vous être imputés dans le cadre de la présente enquête.

Réponse: Non. Je n’ai effectué aucune démarche. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi je suis là.

Question : Savez-vous que la mouvance autonome diffuse notamment par le biais de nombreux sites internet, des consignes visant à adopter pour ses membres, un comportement particulier en cas de placement en garde à vue ; l’une de ces prescriptions étant de refuser tout comme vous le fait jusqu’à présent de répondre à toute question des enquêteurs ?

Réponse : Je n’ai rien à déclarer

Question : Votre attitude actuelle de refus systématique de répondre est-elle consécutive de votre appartenance au mouvement autonome ?

Réponse : Je n’ai rien à déclarer.

«Une « officine » de fabrication de faux documents d’identité»

Les faits reprochés, les policiers vont finir par le dire, ce sont des falsifications de documents. Lors des perquisitions de l’année précédente, les policiers ont découvert au domicile de Manon G. et Christophe B. trois fausses attestations Assedic, quatre cartes d’identité déclarées volées (à des périodes très différentes: 2001, 2002, 2003, 2008), et un CD-Rom qui contient quatre factures EDF vierges. Ils ont également trouvé «une loupe munie d’un support et d’accessoires de fixation ainsi qu’une mallette contenant un système d’éclairage portable pouvant être associé à un dispositif de grossissement pour examiner des documents dits sécurisés et y observer les sécurités décelables en lumières blanches directe et transmise»*.

Le rapport d’expertise a confirmé qu’une loupe permet de voir mieux, et que la lumière éclaire:

«Un dispositif grossissant qui laisse les mains libres, est utile pour effectuer des gestes précis sur des zones dont la superficie est peu étendue. A ce titre, la loupe placée sous scellé peut être un outil qui contribue à l’obtention d’un résultat soigné et donc à l’amélioration de la qualité de la falsification éventuelle. La mallette (…) contient un système d’éclairage portable qui pourrait être utilisé, seul ou associé à un dispositif grossissant, pour examiner des documents dits sécurisés et y observer les sécurités décelables en lumières blanches directe et transmise.»

Deux des cartes ont fait l’objet de «manipulation», et pour les policiers, cela permet «d’attester que l’on [est] en présence d’une « officine » de fabrication de faux documents d’identité»*.

«Attestant donc de la capacité du nommé Christophe B. à produire les fichiers de faux documents»

Lors de la nouvelle perquisition, le 24 novembre 2009, les policiers découvrent «un certificat d’apprentissage privé au nom l’intéressé attestant qu’il avait terminé un enseignement de trois ans dans le domaine de la pré-presse, élément saisi et placé sous scellé (…) dont l’exploitation a permis de déterminer que la matière appréhendée à savoir la prépresse consiste à mettre en page et assembler des documents graphiques afin de produire des plaques d’impression ou autres formes imprimantes qui seront montées sur une presse à imprimer, ce certificat attestant donc de la capacité du nommé Christophe B. à produire les fichiers de faux documents découverts dans son disque dur externe et donc à concevoir au moyen du matériel découvert de faux documents administratifs»*. Dans leur PV puis leur synthèse, les policiers oublient simplement de préciser que le certificat date de près de quinze ans.

Le 27 novembre 2009, à 16h43, Christophe B. est présenté au juge Thierry Fragnoli. Il devient le dixième mis en examen, pour «association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme», «recel de vols en lien avec une entreprise terroriste», «falsification de documents administratifs en lien avec une entreprise terroriste», «détention de faux de documents administratifs en lien avec une entreprise terroriste». Le 17 mars 2010, Manon G. sera à son tour mise en examen, en plus du reste, pour «recel de vols en lien avec une entreprise terroriste» et «détention de faux de documents administratifs en lien avec une entreprise terroriste».

Puis, le 17 juillet, Christophe B. s’explique devant le juge Fragnoli. L’interrogatoire est tendu. Pour la loupe et la mallette, elles ont «la fonction suivante: celle de reporter sur le circuit imprimé le motif du circuit imprimé. Comme vous le savez, j’ai des activités musicales, je fais de la musique électronique, je suis donc amené à utiliser des synthétiseurs qui ont un certain âge. Par ailleurs, la réalisation d’appareils comme des pédales d’effets et des petits circuits simples m’ont amené à me procurer cette valise auprès d’un revendeur de composants électroniques ainsi que de l’instrument situé à la cote D 1280/32, qui est une troisième main», explique le mis en examen.

Quant aux documents découverts, notamment les cartes d’identité, aucune empreinte n’a été découverte dessus. Et, défend Christophe B., l’appartement de Limoges dans lequel elles ont été trouvé est un vrai moulin.  Les RG eux-mêmes le qualifiaient de «lieu de transit», dans leurs notes de début 2008.

Au final, l’affaire paraît mal ficelée: les policiers n’ont trouvé aucune trace d’une tentative d’utilisation de ces documents, et ils n’ont même pas interrogé les occupants de l’appartement de Limoges qui étaient présents lors de la perquisition de 2008. Mais, en pleine tourmente autour du témoin sous X et de la D104, un mis en examen de plus, c’est une enquête qui progresse.

«Pourriez-vous m’expliquer votre intérêt pour cet aspect de la criminologie?»

Pour finir sur une note moins technique, ne nous privons pas d’une question bonus du juge, lors de l’interrogatoire du 17 juillet 2010 (la 14e):

Question : Toujours sur le même ordinateur, on trouve un fichier-texte de Xavier Raufer et François Haut (université Panthéon-Assas – Paris II) sur les violences urbaines, dont je vous représente le texte. Ces sujets sont passionnants, mais pourriez-vous m’expliquer votre intérêt pour cet aspect de la criminologie ?

Réponse : Ce texte ne me dit rien. Il semble évoquer, si j’en crois son titre, un sujet qui défraie quotidiennement la chronique et qui peut intéresser chaque personne vivant dans ce pays.

Les membres de la «mouvance anarcho-autonome» lisent donc Xavier Raufer, criminologue issu de l’extrême droite**. Reconnaissons-leur au moins une certaine ouverture d’esprit.


*extrait du rapport de synthèse réalisé par le capitaine AL le 27 novembre 2009, à l’issue de la garde à vue de Christophe B.

**qui a lui-même écrit De quoi Tarnac est-il le nom ? à l’été 2010.


Article original par Laurent Borredon publié le 26/07/2014

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Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. Le 15 novembre, les neuf jeunes gens sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En 2009, les policiers continuent à surveiller, interpeller, sans grand résultat.

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#40

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat et huit de ses amis, sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le juge Thierry Fragnoli est chargé de l’instruction. En mars 2010, des tubes en PVC sont découverts dans la Marne, là où Julien Coupat et Yildune Lévy se sont arrêtés la nuit des sabotages, selon les policiers de la SDAT.

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