épisode

#7

Un infiltré complètement Stone

Plus de trois mois après l'ouverture d'une enquête préliminaire sur Julien Coupat et ses amis, les policiers de la SDAT commencent enfin leurs investigations le 15 juillet. Après avoir repéré les points de chute du groupe à Paris, ils se rendent à Tarnac (Corrèze).

Mark Kennedy aka « Mark Stone »

Juin 2008 est un mois chargé pour Mark Stone. Avec plusieurs militants écologistes, il prépare le blocage d’un train de charbon qui doit livrer la centrale électrique de Drax (North Yorkshire, Royaume-Uni). C’est lui qui doit louer le van qui amènera tout le monde le long de la voie de chemin de fer. C’est souvent lui qui conduit, d’ailleurs. «Il est toujours partant pour tout», dit une de ses amies*. C’est bien pour ça que Mark Stone, de son vrai nom Mark Kennedy, est aussi précieux pour son service, le National Public Order Intelligence Unit (NPOIU). Depuis 1999, le NPOIU infiltre des policiers au sein des mouvements protestataires – une vieille tradition anglaise. Le but: lutter contre «l’extrémisme intérieur». Mark Kennedy, l’UCO (undercover officer) 133, est l’un des meilleurs.

Il reçoit une nouvelle commande, le 4 juin. Il en prend bonne note sur son petit carnet:

«Mercredi 4 juin, j’ai reçu de brèves instructions à propos d’un contact avec S. [une militante allemande], H., [un Américain], Julien [Coupat] et Gabby [Gabrielle Hallez, une proche de Julien Coupat]»

Si ses supérieurs demandent à Mark Stone de reprendre contact avec Julien Coupat, c’est qu’ils se sont vus et ont échangé leurs coordonnées, un peu plus tôt dans l’année. A New York, lors de la réunion «d’anarchistes»**, comme en témoigne un autre carnet, l’un de ceux de Coupat:

Ce n’était pas la première fois que cet habitué des «contre-sommets» (G8, FMI, OTAN, etc.) a croisé la route des gens de Tarnac. Mais c’était la première qu’il rentrait en contact aussi direct avec l’un d’eux.

«La source ne sera jamais divulguée»

Et des informations, il en a fourni un paquet. En réalité, dès que les RG évoquent la participation de proches de Julien Coupat (ou de lui-même) à une manifestation à l’étranger – informations reprises dans la demande d’ouverture d’enquête préliminaire -, se profile l’ombre de Mark Kennedy. Bien plus tard, en 2011-2012, le retour des commissions rogatoires internationales donnera la mesure du rôle central de l’UCO 133 pour les services occidentaux qui s’intéressent aux «anarcho-autonomes».

La patron du service qui a succédé au NPOIU répond sèchement au juge français, le 5 décembre 2011:

 «Les services de police du Royaume-Uni sont en mesure de déclarer que des informations sont disponibles attestant que Julien Coupat a assisté à une réunion à New York, entre les 12 et 13 janvier 2008. Les services de police du Royaume-Uni sont en mesure de confirmer que des informations sont disponibles attestant que Julien Coupat a assisté à une réunion à Nancy, France, le 25 février 2008. Plus tard dans la même journée la réunion s’est poursuivie dans un lieu sis dans le village de Moussey, France. Lors de ces réunions la confection d’engins explosifs improvisés (IED) ont fait l’objet de discussions et de travaux pratiques. Assistaient également à ces réunions en France S. [toujours la même militante allemande] et Gabrielle Hallez. La source de ces informations confidentielles ne sera jamais divulguée et aucun rapport formel ne sera communiqué.»

La réunion de Nancy apparaît justement dans la note des RG de juin 2008. Et la circulaire Dati du 13 juin assure que les «anarcho-autonomes» sont «en possession d’explosifs». Bizarrement, l’information, si elle est disponible et utilisée dès 2008, n’est pourtant jamais recoupée. Quand elle réapparaît en judiciaire, par le biais de cette réponse, il est bien trop tard pour la vérifier.

«En des lieux et temps non précisés»

La justice italienne donne une idée du flou des informations fournies par Stone-les-bons-tuyaux, dans sa réponse du 11 octobre 2011:

«Il ressort d’informations confidentielles qu’en 2007 [un militant italien en lien avec Tarnac] aurait participé à des réunions préparatoires, en des lieux et temps non précisés, pour les mobilisations contre le sommet du G8 de Heiligendamm (Allemagne).»

Le FBI, quant à lui, botte en touche, et renvoie à Londres, le 11 février 2012:

«Les informations confirmant la tenue, les participants et la teneur d’une réunion d’anarchistes du 11 au 13 janvier 2008 restent d’actualité pour les autorités de police britanniques. Une demande reste insatisfaite.»

 «Infiltration spécifique»

L’UCO 133 est donc bien à l’origine de la surveillance de cette rencontre, et des fuites sur son contenu. Mais, à ce moment-là, il ciblait davantage H., un chercheur américain proche de la «mouvance anarcho-autonome». A l’été 2008, la cible évolue. Le 13 juin, Mark Stone reçoit un ordre plus précis, comme en témoigne le compte-rendu de son supérieur hiérarchique: il doit se rendre au Goutailloux, à Tarnac:

Puis, fin août, Julien Coupat devient lui-même un objectif. La feuille de route de Mark Stone est «mise à jour» pour «ajouter S. [la militante allemande] et Julien Coupat aux personnes autorisées pour une infiltration spécifique par l’UCO» :

Pendant des années, Mark Stone/Kennedy a nourri tous les services occidentaux, et notamment les RG. Il semble que la DCRI, nouvellement créée, n’ai pas résisté à la tentation de l’utiliser. Elle n’a pas vraiment parié sur le bon cheval: démasqué en 2010, l’infiltré sort de l’ombre. Et se révèle, avant tout, un agent provocateur et un mythomane, qui a multiplié les relations intimes avec les militantes…


* Extrait de Undercover: The True Story of Britain’s Secret Police, de Paul Lewis et Rob Evans (non traduit, Faber and Faber, 2013).

 

** Alors que le compte-rendu de la réunion par le FBI est très dramatisant (voir Episode 4), Mark Kennedy dira au magazine Rolling Stone, en mars 2012: «It was a bit of a pointless meeting» («C’était une réunion à peu près sans intérêt»). Il assure même avoir dit à ses supérieurs que le groupe n’avait pas l’air très menaçant… L’homme est décidément difficile à suivre.

 

Quelques liens sur l’étonnante histoire de Mark Kennedy:


Article original par Laurent Borredon publié le 19/06/2014

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#6

Nous sommes au printemps 2008. Une enquête préliminaire a été ouverte par la section antiterroriste du parquet de Paris, le 16 avril, sur un « réseau de militants anarcho-autonomes » constitué autour de Julien Coupat. La sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire n'a pas commencé à travailler. Les services de renseignements européens, eux, s'agitent.

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#8

Plus de trois mois après l'ouverture d'une enquête préliminaire sur Julien Coupat et ses amis, les policiers de la SDAT commencent enfin leurs investigations le 15 juillet. Mais qui sont leurs «cibles»?

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