épisode

#23

L’ADN d’une garde à vue (et ses dessous)

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. La SDAT ne trouve ni arme, ni explosif. Les gardes à vue se déroulent dans un climat tendu, quand un mystérieux témoin sous X se déclare.

Même enfermé en garde à vue, il est possible de commettre un délit. Un délit «en lien avec une entreprise terroriste», en plus. Dans l’affaire de Tarnac, il a été commis par cinq des suspects, après vingt-quatre heures dans les cellules et les bureaux de la police judiciaire. Les policiers l’ont bien-sûr immédiatement signalé au parquet, qui a diligenté une enquête de flagrance. Ce délit, c’est le «refus de prélèvement biologique», considéré ici, donc, comme «en lien avec une entreprise terroriste».

Elsa H. s’en est expliqué, lors de sa troisième audition, le 12 novembre 2008:

Question: Vous avez refusé le prélèvement ADN lors de votre signalisation par la fonctionnaire de l’identité judiciaire. Avez-vous connaissance du fait que cela constitue un délit?

Réponse: Oui, au nom de ma liberté, et parce que je ne suis pas une criminelle, je refuse ce prélèvement.

«Le soutien-gorge que vous venez de prendre est bien le mien»

Mais que l’auteur soit criminel ou pas, mis en examen ou pas, depuis 2003, ce refus est puni d’«un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende»*. C’est la loi. Après tout, Julien Coupat, Yildune Lévy, Elsa H., Benjamin R. et Mathieu B. entravent l’enquête, non?

Sauf qu’en fait, non, pas du tout. Car le juge des libertés et de la détention a autorisé les perquisitions et la «saisie des effets personnels» des suspects. Les policiers n’ont pas besoin de leur accord pour prélever leur ADN sur les objets ou vêtements saisis. Cela donne ces procès-verbaux un peu absurde, dans lesquels les policiers constatent le délit, puis y remédient immédiatement, et enfin le signalent quand même au parquet**. D’abord le refus:

«Vu les instructions du magistrat mandant nous prescrivant de procéder au prélèvement de matériel biologique sur la personne de X. Faisons comparaître devant nous la (…) gardée à vue depuis le 11 novembre 2008 (…). Sollicitons son accord aux fins d’effectuer sur sa personne un prélèvement de matériel biologique et lui expliquons les conditions dans lesquelles ce prélèvement va être réalisé. La nommée X nous déclare :  « Informée sur les nécessités du prélèvement de mon ADN pour votre enquête, je refuse à ce qu’un fonctionnaire de police, effectue un prélèvement de matériel biologique à l’intérieur de ma cavité buccale. » L’informons que ce refus peut entraîner des poursuites pénales à son encontre. La nommée X nous déclare : « Je maintiens mon refus. »»

Puis le prélèvement forcé:

«Vu l’autorisation écrite et motivée délivrée le 10 novembre 2008 par Monsieur DL, juge des libertés et de la détention au tribunal de grande instance de Paris, de procéder à une perquisition, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction sans l’assentiment de la personne, prélevons de sa fouille de sécurité et en sa présence, un soutien gorge de couleur noire lui appartenant. Interpellée sur le scellé judiciaire, la nommée X  déclare: « Le soutien-gorge que vous venez de prendre dans ma fouille est bien le mien. »»

Et enfin le signalement du délit:

«Prenons attache téléphonique avec monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de PARIS, section C1. Ce magistrat nous prescrit de diligenter contre la nommée X une enquête de flagrance des chefs de refus de se soumettre à un prélèvement d’empreinte génétique en relation avec une entreprise terroriste. Informons la nommée X qu’elle va faire l’objet d’une procédure incidente pour les faits cités ci -dessus.»

Et les policiers assurent ensuite leurs arrières (on notera qu’une brique de jus de pomme est assimilée à un «sous-vêtement»):

«Vu les instructions de Monsieur le procureur de la République à l’effet de saisir les sous-vêtements afin de faire procéder au prélèvement de traces génétiques, nous transportons dans les locaux de garde à vue et nous faisons remettre par les fonctionnaires chargés de garder les lieux, en prenant soin de conserver toute trace ou indice, une paille et une brique de jus de pomme consommé par la sus nommée et jetées à la poubelle.»

«Le caleçon de couleur bleue qu’il porte»

Le policier qui s’occupe de l’autre jeune femme ressent peut-être comme une gêne de s’attaquer ainsi à ses dessous, et laisse planer un certain flou sur la nature du vêtement saisi:

«Vu les instructions de Monsieur le procureur de la République à l’effet de saisir les sous-vêtements afin de faire procéder au prélèvement de traces génétiques. En présence d’X, prélevons dans sa fouille de sécurité deux sous-vêtements féminins que nous plaçons sous scellé.»

Pour les hommes, par contre, pas de chichi:

«En la présence constante et effective du nommé X, saisissons et plaçons sous scellé le caleçon de couleur bleue qu’il porte.»

«Nous trouvant dans les locaux sécurisés où est retenu X, l’intéressé nous ayant remis à notre demande son caleçon, genre « boxer » de couleur noire. Dès lors, respectant les protocoles fixés en la matière (porteur d’un masque et de gants): saisissons et plaçons sous scellé le caleçon du nommé X.»

«Saisissons et plaçons sous scellé, la paire de chaussettes que le nommé X porte à ses pieds.»

Un soutien-gorge, deux sous-vêtements féminins, deux caleçons et une paire de chaussettes. Ce 12 novembre, la pêche a été bonne pour la SDAT.

 


*Articles 706-54, 706-55 et 706-56 du code de procédure pénale, issus de la première loi Sarkozy «pour la sécurité intérieure» de 2003:

Articles 706-54

«Le fichier national automatisé des empreintes génétiques, placé sous le contrôle d’un magistrat, est destiné à centraliser les empreintes génétiques issues des traces biologiques ainsi que les empreintes génétiques des personnes déclarées coupables de l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55 en vue de faciliter l’identification et la recherche des auteurs de ces infractions. Sont conservées dans les mêmes conditions les empreintes génétiques des personnes poursuivies pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55 ayant fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pénale en application des articles 706-120, 706-125, 706-129, 706-133 ou 706-134.

Les empreintes génétiques des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55 sont également conservées dans ce fichier sur décision d’un officier de police judiciaire agissant soit d’office, soit à la demande du procureur de la République ou du juge d’instruction (…).

Les officiers de police judiciaire peuvent également, d’office ou à la demande du procureur de la République ou du juge d’instruction, faire procéder à un rapprochement de l’empreinte de toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55 avec les données incluses au fichier, sans toutefois que cette empreinte puisse y être conservée.consentement éclairé, exprès et écrit des intéressés.»

Article 706-56

«I.-L’officier de police judiciaire peut procéder ou faire procéder sous son contrôle, à l’égard des personnes mentionnées au premier, au deuxième ou au troisième alinéa de l’article 706-54, à un prélèvement biologique destiné à permettre l’analyse d’identification de leur empreinte génétique.  (…)

Lorsqu’il n’est pas possible de procéder à un prélèvement biologique sur une personne mentionnée au premier alinéa, l’identification de son empreinte génétique peut être réalisée à partir de matériel biologique qui se serait naturellement détaché du corps de l’intéressé.

Lorsqu’il s’agit d’une personne condamnée pour crime ou déclarée coupable d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement, le prélèvement peut être effectué sans l’accord de l’intéressé sur réquisitions écrites du procureur de la République. Il en va de même pour les personnes poursuivies pour un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement ayant fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pénale en application des articles 706-120, 706-125, 706-129, 706-133 ou 706-134.

II.-Le fait de refuser de se soumettre au prélèvement biologique prévu au premier alinéa du I est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Lorsque ces faits sont commis par une personne condamnée pour crime, la peine est de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Nonobstant les dispositions des articles 132-2 à 132-5 du code pénal, les peines prononcées pour les délits prévus au présent article se cumulent, sans possibilité de confusion, avec celles que la personne subissait ou celles prononcées pour l’infraction ayant fait l’objet de la procédure à l’occasion de laquelle les prélèvements devaient être effectués.

Le fait, pour une personne faisant l’objet d’un prélèvement, de commettre ou de tenter de commettre des manœuvres destinées à substituer à son propre matériel biologique le matériel biologique d’une tierce personne, avec ou sans son accord, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

III.-Lorsque les infractions prévues par le présent article sont commises par une personne condamnée, elles entraînent de plein droit le retrait de toutes les réductions de peine dont cette personne a pu bénéficier et interdisent l’octroi de nouvelles réductions de peine.»

 

**Lorsque ce n’est pas prévu, la police utilise des objets touchés ou des traces laissées lors de la garde à vue (brique de jus, cheveux). Mais constate tout autant le délit. Le 6 février 2013, le tribunal correctionnel de Rouen a ainsi pu juger Charles Torrès, placé en garde à vue puis relâché sans charge dans le cadre de l’affaire de Tarnac (on y viendra). Le 24 février 2012, à 11h15, les policiers avaient recueilli son ADN à son insu, avant de lancer, à 11h35, une procédure contre le jeune homme. Il a été relaxé. (Plus de détails dans l’article: «Tarnac : jugé pour refus de donner un ADN déjà prélevé»)


Article original par Laurent Borredon publié le 08/07/2014

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Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. La SDAT ne trouve ni arme ni explosif. Les gardes à vue se déroulent dans un climat tendu, quand un mystérieux témoin sous X se déclare. En attendant, un rituel bien particulier doit être respecté.

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Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. La SDAT ne trouve ni arme, ni explosif. Les gardes à vue, dans un climat tendu, n'ont pas donné beaucoup plus, comme le mystérieux témoin sous X. Le 15 novembre, la SDAT réalise une synthèse des investigations.

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