épisode

#10

« Magasin général, bonjour! »

Les policiers de la SDAT ont mis du temps, mais ils sont maintenant à 200% sur le «groupe Coupat» - une vingtaine de jeunes au tournant de la trentaine, qui vivent entre Tarnac, Limoges, Rouen et Paris. Ecoutes, surveillances humaines et vidéo, leurs mouvements sont suivis de près.

Comment fait-on pour écouter quelqu’un qui n’a pas de téléphone? Eh bien, on écoute ses parents, on demande les «fadets» (facturation détaillée) des cabines téléphoniques près de chez lui, on met sur écoute le Magasin général de Tarnac – encore lui. En résumé, voilà la stratégie des policiers de la SDAT face à Julien Coupat (pas uniquement face à lui, d’ailleurs, les parents de certains de ses amis, dont une avocate, sont ciblés par la police antiterroriste). A l’été 2008, ils lancent des réquisitions judiciaires tous azimuts. Une fois encore, la moitié du village de Tarnac se trouve écoutée.

Les policiers ne doivent retranscrire que les conversations en rapport avec l’enquête, c’est la règle. Pour ce qui est du Magasin général, comme il ne se passe rien, le moindre lien entre deux personnes concernées par les investigations est retranscrit.

«Allo ouaih. Euh la baleine n’est pas là ?»

Florilège. Est reproduit ci-dessous l’intégralité de chaque extrait que nous avons choisi, seuls les noms, les numéros et les adresses sont anonymisés. Les coupes de ce type (…) sont celles de la SDAT:

N°: 85 Date: 2008-08-25 Heure: 11:19:12 Durée: 40

Direction : Reçu Numéro : 0555xxxxxx

Abonné: BR Adresse de l’abonné : Javaud

Code postal de l’abonné: 19170 Ville de l’abonné : Tarnac

 Transcription:

Xh : Magasin général bonjour.

Julien : Ouais bonjour, est ce que Gaby est là ?

Xh: Euh non.

Julien : Ben quand tu la vois, elle va arriver tout de suite, quand tu la vois, est ce que tu peux lui dire de me rappeler dès qu’elle est là ?

Xh: D’accord.

Julien: A tout de suite.

 

N°: 88 Date: 2008-08-25 Heure: 13:04:43 Durée: 25

Direction : Reçu Numéro : 0555xxxxxx

Abonné: BR Adresse de l’abonné : Javaud

Code postal de l’abonné: 19170 Ville de l’abonné: Tarnac

Transcription:

 Xh1: Oui allo. Allo ?

Xh : Allo ouaih. Euh la baleine n’est pas là ?

Xh1 : Non.

Xh : Non ok, bon eh bien à toute à l’heure.

 

N°: 96 Date: 2008-08-25 Heure: 18:03:31 Durée: 107

Direction : Reçu Numéro: 09xxxxxxxx

Abonné: BR Adresse de l’abonné : Javaud

Code postal de l’abonné: 19170 Ville de l’abonné : Tarnac

Transcription:

 Xf: Magasin général.

F : Oui salut c’est F. Est ce que Gaby elle est là ?

Xf : Oui je te la passe.

F.: Merci.

Gaby: Allo.

F.: Salut.

Gaby: Salut.

 

N°: 149 Date: 2008-08-29 Heure: 13:29:4 Durée: 40

Direction : Reçu Numéro : 06xxxxxxxx

Abonné: CF Adresse de l’abonné: 104 avenue X

Code postal de l’abonné: 92xxx Ville de l’abonné : Xxxx

Transcription:

B.: Magasin général bonjour.

G.: Ouaih c’est G.

B.: Ouaih.

G.: Je suis sur la route là j’arrive.

 

 

N°: 397 Date: 2008-09-14 Heure: 12:45:02 Durée: 141

Direction : Reçu Numéro : 09xxxxxxxx

Abonné: M. Adresse de l’abonné : 78 rue de Xxxxxx

Code postal de l’abonné: 76xxx Ville de l’abonné: Xxxx

Transcription:

 Au.: Allo.

A.: Au. ?

Au.: Oui.

A.: C’est A.

 Au final, des centaines d’heures sont enregistrées, mais seules une petite vingtaine de conversations de ce type sont retranscrites, et la plupart du temps, dans ces conversations, ce sont seulement comme ici les premiers échanges, qui permettent d’identifier les correspondants, qui sont couchés sur procès-verbal.

«Je vous raconterai tout»

Dans cet ennui, le moindre fait saillant devient ultrasignifiant, comme cet échange de Julien Coupat et Gabrielle H. sur son voyage en Grèce, qui va être surexploité dans l’enquête:

N°: 381 Date: 2008-09-13 Heure: 11:35:09

Direction : Reçu Numéro : 01xxxxxxxx

Abonné: Dxxxx Adresse de l’abonné: 26 avenue Xxxxxxx

Code postal de l’abonné: 75020 Ville de l’abonné: Paris

Transcription:

 P.: Allo.

Julien: Bonjour P. Je cherchais Gabrielle si elle était dans le coin?

P.: Ouaih, je te la passe.

Julien: Merci.

Gabrielle: Allo?

Julien: Allo.

Gabrielle: C’est toi? (..)

Julien: Moi, j’arrive lundi en fin d’après midi. (..)

Gabrielle: C’était bien alors vraiment?

Julien: Ouaih, c’était très bien. Je vous raconterai tout.

Gabrielle: Tout?

Julien: Tout.

Gabrielle: T’as vu nos amis?

Julien: Ouaih, j’ai vu tout le monde.

Gabrielle : Ils vont venir par là aussi?

Julien: Comment?

Gabrielle: Ils vont venir ou pas?

Julien: Ouaih, un de ces jours.

«Nos amis», «je vous raconterai tout», ce sont les paroles les plus fortes prononcées sur la ligne en un mois d’écoutes (mi août-mi-septembre). Mais la SDAT a mis le paquet sur ce déplacement de Julien Coupat en Grèce. Le 8 septembre, dès 5h45, un policier s’est rendu dans le centre de tri postal dont dépend le domicile des parents Coupat pour intercepter un courrier dans lequel Julien renvoie… la clé de voiture de son père qu’il avait embarquée par erreur en Grèce. Expéditeur sur l’enveloppe: «T.de Linotte 15 boulevard de l’oubli 75011 Paris et mille excuses». Les «anarcho-autonomes» ont de l’humour.

L’officier de liaison à Athènes a été contacté, il a informé la SDAT que «se déroule actuellement à Thessalonique (…) la 73e foire internationale (…) devenue en Grèce un évènement politique majeur [qui] engendre chaque année de nombreuses manifestations violentes menées notamment par des groupuscules d’extrême gauche». Le 22 septembre, il confirme que des troubles ont eu lieu, et la SDAT note que «durant (…) le séjour de Julien Coupat à Thessalonique de nombreuses manifestations ont été organisées à l’initiative de l’opposition»:

   «Il est important de noter qu’en marge de ces manifestations, des groupuscules anarchistes composés d’une centaine de personnes, mobiles et organisées, se sont dirigés dans le centre de la ville pour affronter les forces de l’ordre. Dans la soirée, quelques individus au visage masqué se sont rendus dans le quartier de l’église Sainte-Sophie, y ont dégradé plusieurs magasins et un cocktail Molotov a été jeté sur deux distributeurs de la banque Emporiki. Quelques minutes plus tard, un jet de pierre a visé le hall d’entrée du bâtiment abritant le consulat de France, n’occasionnant ni blessé ni dégât.»

Il est important de le noter, effectivement… même si les policiers n’ont pas le début d’un indice sur les activités de Julien Coupat en Grèce, pas un témoignage sur sa présence au sein des «groupuscules anarchistes».

Ci-dessous, un montage de photos des manifestations, réalisé en 2008 par un professeur anglais résidant dans la région. 

«Pour l’instant on discute et on écoute Brel»

Sur les lignes des parents Coupat, les policiers rentrent dans l’intime, la banalité des conversations en famille: tu passes quand? Tu nous laisses la petite (Julien Coupat a une petite fille avec Gabrielle H.)? Gabrielle H. annonce qu’elle a réussi l’école d’infirmière, Julien Coupat sollicite un coup de main de son père pour retaper un local militant. Au final, les écoutes servent essentiellement à traquer ses déplacements, pour anodins qu’ils soient.

N°: 389 Date: 2008-09-15 Heure: 16:22:00 Durée: 95

Sens: Emis Numéro correspondant: 06xxxxxxxx

Abonné: Gérard Coupat Adresse: 10, avenue X

Jocelyne Coupat appelle Gérard Coupat

 Transcription:

Jocelyne: Allô Gérard, tu vas bien?

Gérard: On est à Orléans.

Jocelyne: Vous êtes partis à quelle heure?

Gérard: 1h15 de la maison.

Jocelyne: Vous avez mangé un peu?

Gérard: Oui on a vidé le frigo (…).

Jocelyne: J’avais demandé à M. de vous préparer quelque chose.

Gérard: Non, Julien avait le feu aux fesses.

Jocelyne: Donc vous n’avez pas mangé alors?

Gérard: Si mais sur le pouce debout, on ne s’est pas assis, on pas sorti une bouteille, on a pris le café le cognac on pas fait la sieste. (…)

Jocelyne: C’est qui conduit? C’est Julien?

Gérard: Non c’est moi, pour l’instant on discute et on écoute Brel . (…)

Ils retranscrivent également une longue conversation de sa mère avec l’une de ses amies. Pourquoi? Parce qu’elle s’inquiète un peu pour son fils, qui «croit en la révolution». Mais elle rajoute «là où ils vivent, c’est pas plus mal parce qu’ils s’aident, y a une entraide», ou encore «Julien c’est la vie en communauté, communauté saine, mais communauté de pensée, d’idées».

«Est-ce que je peux parler librement?»

Avec son père, une conversation montre que la famille se sait surveillée:

N°: 226 Date: 2008-09-13 Heure: 11:15:01 Durée: 183

Sens: Reçu Numéro correspondant: 01xxxxxxxx

Transcription:

Gérard: Allô.

Julien: Salut.

Gérard: Dis, Julien est-ce que tu as eu Le Goutailloux?

Julien: Non. (…)

Gérard: Il va falloir que tu appelles au trois numéros que tu connais m’a dit Gaby.

Julien: Oui.

Gérard: Est-ce que je peux parler librement?

Julien: Non.

Gérard: J’aurais besoin de te parler pour autre chose, (…) Comment on fait pour se parler librement.

Julien: Tu veux que je passe ou quoi? (…)

Gérard: Je suis tombé en panne de voiture dans le 20e, elle ne démarre plus (…).

Gérard: Ça serait bien qu’on se voit une heure ensemble.

Julien: On se voit à une heure alors?

Gérard: On se voit à [une?] heure avant tu appelles le Goutailloux pour que tu saches quand même un certain nombre de choses et on discute à une heure ensemble.

Julien: Il est onze heures.

Gérard: On peut se donner RDV au local.

Gérard: Une heure, métro Ménilmontant.

Julien: Très bien.

Gérard: Salut, mais tu appelles là-bas avant.

La SDAT a beaucoup coupé dans la retranscription. Quel est le contexte? Les deux hommes souhaitent-ils rester discrets sur le projet de journal du fils? Sur la réfection du local? Souhaitent-ils seulement avoir une conversation privée père-fils sans être entendus jusqu’à Levallois-Perret? Cela devient impossible de le savoir. On constate simplement que Julien Coupat sait qu’il est écouté. Vu le niveau d’intensité de la surveillance des RG puis de la DCRI et de la SDAT, c’est peu surprenant.


Article original par Laurent Borredon publié le 23/06/2014

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Les policiers de la SDAT ont mis du temps, mais ils sont maintenant à 200% sur le «groupe Coupat» - une vingtaine de jeunes au tournant de la trentaine, qui vivent entre Tarnac, Limoges, Rouen et Paris. Ecoutes, surveillances humaines et vidéo, leurs mouvements sont suivis de près.

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En octobre 2008, les policiers de la SDAT sont à 200% sur le «groupe Coupat» - une vingtaine de jeunes «anarcho-autonomes» au tournant de la trentaine, qui vivent entre Tarnac, Limoges, Rouen et Paris. Ils sont surveillés de près. Pendant ce temps-là...

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