épisode

#12

Le sabotage bien huilé

En octobre 2008, les policiers de la SDAT sont depuis six mois sur le «groupe Coupat» - une vingtaine de jeunes «anarcho-autonomes» au tournant de la trentaine, qui vivent entre Tarnac, Limoges, Rouen et Paris. Enfin, il va se passer quelque chose.

D’abord, le conducteur du TGV de reconnaissance de la ligne Est (sens Strasbourg-Paris) a pensé à un problème de motrice. Il est 6h33, dimanche 26 octobre 2008. En passant entre les points kilométriques 287 et 288, sur la commune de Vigny (Moselle), son train a subi une avarie. Rien de grave, toutefois, et les trains commerciaux peuvent partir. Mais l’incident se répète: ses deux successeurs arrivent dans la gare suivante, à 6 km, avec un pantographe – le bras articulé qui permet de capter le courant sur les caténaires – retourné.

Les premiers agents envoyés sur place constatent «l’avarie de la caténaire sur deux cents à trois cents mètres et la présence d’une pièce métallique sur le fil de contact». Ils pensent d’abord à «un morceau de pantographe». Tous les portails d’accès aux voies sont «bien fermés». La ligne passe en trafic ralenti. Le responsable caténaire se rend sur place. Pour lui, pas de doute, il s’agit «d’un acte de malveillance»: «La pièce présente sur le fil de contact n’était pas un morceau de pantographe mais un crochet artisanal.»* Les gendarmes sont appelés.

«Fer à béton»

Que constatent-ils? A cet endroit, la ligne TGV passe sous un pont routier. Pour autant, le crochet n’a pas été posé depuis le pont, mais depuis les voies, à l’aide d’une perche d’au moins 5m. La clôture porte la trace d’une intrusion: «Un grillage d’une hauteur d’1m50 est affaissé laissant présumer qu’il a été escaladé juste à côté du portail verrouillé.» «Le crochet a été pris en main par de nombreuses personnes. Il était énormément graissé. Il est envisagé que ce lubrifiant devait faciliter le retour d’un clapet de nature à éviter la chute et à bloquer le crochet sur le fil de contact», constatent les enquêteurs de la section de recherches de Metz. Le crochet est fermement bloqué sur la caténaire, et quand le pantographe vient s’y accrocher, il endommage les câbles. L’objet est ingénieux, et conçu de manière précise:

 «Ce fer à béton a été plié dans un premier temps afin de faire un U, les extrémités de ce U ont été pliées, meulées et relevées pour en faire des pointes d’une longueur de 10 cm. Un fer rond de 10 cm de longueur, d’un diamètre de 12 mm a été soudé sur la partie verticale droite du U. Ce fer rond a vraisemblablement servi à être introduit dans une perche télescopique pour déposer le crochet sur le fil de contact. Deux écrous d’une dimension de 20mm ont été soudés sur le montant gauche du U. Une barre de « verrouillage » composée d’un fer rond de 10 cm de longueur et et d’une tige filetée de 10 mm de diamètre a été vissée dans ces deux écrous. Sur ce même montant à 7,5 cm au dessus des deux écrous, un morceau de fer rond de 3,2 cm a été soudé. Ce petit morceau servait de « butoir anti-retour » empêchant la barre de « verrouillage » de faire le tour et de libérer le fil de contact de la caténaire. Un morceau de tige filetée de 3,5 cm de longueur a été soudé à la même hauteur que les deux écrous sur le montant droit du U. Cette pièce servait à bloquer la barre de « verrouillage » en position horizontale.»

«Le ou les auteurs avaient mûrement réfléchi leur action»

A la SNCF, on n’a jamais vu ça. Les gendarmes de Metz ne le savent pas, mais il s’agit là d’une méthode bien connue des Allemands, en revanche. Elle a été utilisée de nombreuses fois dans les années 1990 par les militants antinucléaires car elle a l’avantage d’être sans danger pour le convoi. «La conception du crochet, la connaissance des installations SNCF et de leur fonctionnement, le risque encouru en déposant le crochet sur le fil de contact (25 000 volts) laissent penser que le ou les auteurs avaient mûrement réfléchi leur action», concluent les gendarmes. Ils s’interrogent avant tout sur un sabotage venu de l’intérieur de la compagnie ferroviaire, s’interrogent sur des vols de perches télescopiques – il n’y en a pas eu.

Juridiquement, ils qualifient l’incident de «dégradation ou détérioration grave d’un bien appartenant à autrui». Le responsable maintenance a été clair, la manœuvre ne peut pas provoquer de déraillement. Dix-huit trains ont été retardés au total.

L’incident ne parvient pas jusqu’aux oreilles de la SDAT. Ou, en tous cas, les policiers antiterroristes n’y prêtent pas attention. De toute façon, ce week-end là, elle ne suit pas Julien Coupat. Les écoutes sont interrompues, tant elles n’ont rien donné. Quant à la surveillance vidéo de son domicile parisien:

«Pour la période du 22 octobre 2008 à 11h09 au 1er novembre 2008 à 14h50 (…) constatons qu’aucun élément susceptible d’intéresser la présente enquête n’a pu être relevé durant cette période», écrivent les policiers le 6 novembre


*Extraits de l’audition du responsable maintenance infrastructures du TGV-Est menée le 28 octobre par les gendarmes


Article original par Laurent Borredon publié le 25/06/2014

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En octobre 2008, les policiers de la SDAT sont à 200% sur le «groupe Coupat» - une vingtaine de jeunes «anarcho-autonomes» au tournant de la trentaine, qui vivent entre Tarnac, Limoges, Rouen et Paris. Ils sont surveillés de près. Pendant ce temps-là...

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Début novembre 2008. L'enquête préliminaire sur un «réseau de militants anarcho-autonomes» constitué autour de Julien Coupat a été ouverte depuis bientôt six mois. Les policiers de la SDAT chargés de l'enquête ont peu d'éléments. La nuit du 7 au 8 novembre va tout changer

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