épisode

#36

Le témoin qui rend chèvre

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. Le 15 novembre, les neuf jeunes gens sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En mars 2009, les neuf de Tarnac contestent la qualification de «terrorisme».

C’est une audition parmi d’autres, le 11 décembre 2008. Les policiers ont étudié la facturation détaillée de la ligne du Magasin général, et ils ont ramassé quelques numéros de personnalités inconnues. Au final, il s’agit de la secrétaire d’un club nautique et d’un cordiste dans le BTP. Rien de bien passionnant. Et puis, au milieu, un certain Jean-Hugues B.*, 28 ans, agriculteur dans le Puy-de-Dôme. Il n’a appelé qu’une seule fois l’épicerie, le 22 août, mais le numéro deux du groupe d’enquête, le lieutenant BM, a fait le déplacement en personne dans les locaux de la PJ de Clermont-Ferrand pour l’entendre. Il ne dit pourtant rien de bien passionnant.

Question: Vous souvenez-vous du motif de l’appel téléphonique cité supra, de l’interlocuteur avec lequel vous avez conversé et de la teneur des propos échangés ?

Réponse : Oui, je me souviens de cet appel. J’avais appelé au Goutailloux parce que j’élève des chèvres de la même race que le leur, je leur en ai d’ailleurs vendu depuis l’installation de cette communauté à Tarnac. J’ai passé cet appel car je souhaitais leur emprunter leur bouc pour la reproduction de mon élevage. Je suis d’ailleurs allé chercher ce bouc au Goutailloux à la fin du mois d’août 2008, vers le 24 ou 25. Quant à mon interlocuteur, il s’agissait du nommé RM, qui est l’un des résidents permanent au Goutailloux, et avec lequel j’avais régulièrement des discussions sur l’élevage, car c’est un domaine qui le passionne.

Je dois vous dire que RM est la personne que je connais le mieux au Goutailloux, et c’est d’ailleurs par son intermédiaire que j’ai fait la connaissance des autres résidents de la communauté du Goutailloux.

En bon pro de la déduction, le lieutenant BM enchaîne:

Question : Le fait que ayez entretenu une conversation téléphonique avec la ligne filaire sise à la ferme du Goutailloux met en évidence que vous entretenez des liens avec un ou plusieurs des individus y résidant. Que pouvez-vous nous dire quant aux origines et à la nature de ces liens ?

Réponse : En fait j’ai fait la connaissance des membres de cette communauté par le biais de ma saur, qui appartient à une coopérative européenne nommée Longo Maï. En 2002, il y avait un festival à Gap, appelé « Alternatives et Resistances », au cours duquel j’ai rencontré RM, qui lui-même faisait parti comme ma soeur d’une coopérative Longo Maï, mais dans les Alpes-de-Haute-Provence. Nous sommes retrouvés autour d’idées politiques proches, nous pratiquons le même sport de combat le Krav Maga, nous avions à peu près le même âge et les mêmes lectures. Nous étions des copains. Nous sommes restés en contact, puis nous nous sommes perdus de vue lorsqu’il s’est installé au Goutailloux et a quitté Longo Maï, car je suis resté à Gap.

Lorsque en 2006-2007, après avoir suivi des études agricoles, je me suis installé pour exercer une activité agricole en Auvergne, RM a repris contact avec moi, et nous avons renoué, notamment comme je vous l’ai expliqué eu égard à note passion pour l’élevage.

C’est dans ce cadre que je me suis rendu quelques fois par an au Goutailloux, principalement pour voir RM ou pour des circonstances agricoles particulières. Je les conseillais notamment pour leur élevage de bêtes et leurs récoltes, car cette communauté avait une activité agricole. C’est donc uniquement sous cet angle que j’ai fait la connaissance les autres résidents du Goutailloux.

Pour définir cette communauté, elle était caractérisée par une communauté de vie avec des activités d’ordre agricoles, artisanales, commerciales. Le lieu d’implantation avait été choisi sur des critères que j’ignore totalement. Je crois que la tradition communiste du plateau des Millevaches n’était pas non plus étrangère aux raisons de cette implantation.

RM est l’«expert en arts martiaux qui vient de Belgique et qui est issu des « black blocks »» qui «entraîne les autres membres du groupe aux arts martiaux et est considéré au sein du groupe comme le responsable de la branche armée», selon le témoin sous X, T42, auditionné le 14 novembre (voir épisode 24). Le policier poursuit:

Question: Un projet politique présidait donc à l’existence de cette communauté?

Réponse : Je ne souhaiterais pas répondre à ce type de question qui relèvent selon moi des opinions privées de chacun.

Puis Jean-Hugues B. termine sur une précision étrange:

«Je tiens cependant à vous préciser que depuis la médiatisation de cette enquête, je suis la cible d’un harcèlement médiatique par des journalistes, cherchant visiblement à en savoir plus quant à la nature de mes relations avec les gens du Goutailloux et sur leurs activités. Je n’ai rien à cacher sur ces relations, je n’ai pas honte d’avoir fréquenté quelque unes de ces personnes, ni de mes opinions politiques, qui jusqu’il y a quelques jours ne tombaient pas sous le coup de la loi.»

«On jettera ta fille dans un fossé après avoir fait d’elle une femme»

Dans les milliers de cotes du dossier, celle-là fait tâche: c’est bien la seule fois que la SDAT auditionne un témoin à décharge. L’homme a un drôle de parcours, que l’audition n’effleure pas. Ce jeune chevrier bio, installé à Teilhet (Puy-de-Dôme) en 2006, est la cible de menaces depuis le printemps. Le 1er avril 2008, il a découvert dix de ses chèvres tuées au pistolet d’abattage. Le 22 août (le jour même où il appelle à Tarnac), il a découvert sur son tracteur une lettre particulièrement sinistre. «On jettera ta fille dans un fossé après avoir fait d’elle une femme», vont jusqu’à écrire le ou les corbeaux. L’histoire intéresse les politiques et les médias: le jeune agriculteur, un peu gauchiste, rejeté par des paysans qui convoitent ses terres, cela fait une belle page dans Le Monde, le 3 septembre. Jean-Hugues B. se prête volontiers au jeu.

En octobre, sa grange est incendiée. Début décembre, quelques jours avant son audition par la SDAT, il décide d’abandonner. «Je m’en vais, ce n’est plus tenable», explique-t-il au Monde. S’il est la cible d’un «harcèlement médiatique», c’est donc plutôt à ce sujet, qu’à propos de l’affaire de Tarnac. Même si des premières fuites laissent entendre qu’il pourrait être le témoin sous X…

Le 30 juin 2009, retournement de situation: Jean-Hugues B. est mis en examen pour «dénonciation de faits imaginaires». Le chevrier aurait non seulement écrit la lettre de menace, mais également tué ses propres chèvres et mis le feu à sa grange**.

«Je vois le langage qui est utilisé, en plus, ce témoignage il est faux»

Pendant ce temps-là, l’affaire de Tarnac poursuit son cours chaotique. Dès le 23 janvier 2009, Mediapart publie une longue enquête sur T42, le témoin sous X, affirmant que «l’homme qui a témoigné à charge, sous couvert d’anonymat, ne serait absolument pas fiable, voire mythomane». Mais ne révèle pas son nom, pour des raisons «déontologiques et légales».

Quelques mois plus tard, le 11 novembre 2009, TF1 réalise une interview en caméra cachée du témoin sous X. Le résultat est ébouriffant:

«Le témoin sous X: Le milieu autonome ne m’est pas étranger. Je ne peux pas dire que je n’ai pas de sympathie pour ces gens là. J’ai été entendu à la gendarmerie par la SDAT qui me dit : « Tu te rends compte avec tout ce que tu as vécu dans ton village, si ça se sait que tu connais les gens de Tarnac, c’est fini tu peux te barrer ». (…)

Je dis : « je n’ai rien à dire sur ces gens-là » et là le mec m’explique très posément que ce n’est pas le problème, le problème c’est qu’il y a tout un tas d’infos, d’interceptions de mails, d’infos de gars infiltrés en squat, ce genre de choses, qui ne sont pas exploitables dans une procédure judiciaire et que juste ils ont besoin d’une signature. C’est : « on a une info et on ne sait pas comment on peut  la mettre dans un dossier pour que le juge dise ok ça marche. » Je dis : « Moi je n’ai rien à dire », il me dit : « Nous des choses à dire on en a des tas. On ne te demande pas de balancer quoi que ce soit, nous on a tout ce qu’il faut, de toute façon c’est mort, ils sont foutus, ils sont cuits. Tu sais, eux, coupables pas coupables, nous on s’en fout, ce n’est pas notre problème. »

On ne m’a pas posé tant de questions que ça, ce n’était pas important. Ce que moi j’avais à dire ce n’est pas important, ce qui était important c’est qu’au bout d’un moment je signe. Ils m’ont dit : « On peut en discuter ici ou on peu en discuter à Levallois », ils ne m’ont pas proposé d’apposer ma signature.

Le journaliste: Ils t’ont ordonné de le faire ?

Le témoin sous X: Ouais ils m’ont dit : « Voilà c’est comme ça que ça va se passer maintenant. »

Le journaliste: On t’a mis une pression ?

Le témoin sous X: Carrément, je suis resté neuf heures, à être dans une espèce de simultanéité entre les mecs qui te payent un café, très sympa, et à des moments des trucs du genre : « mais on va pas retrouver ton ADN quelque part quand même ? »

Moi je savais que j’étais témoin anonyme à ce moment-là, oui, mais je n’avais aucune idée de la teneur du témoignage anonyme. Moi je ne les ai pas accablés, j’ai fait bien attention à ne donner absolument aucun renseignement qui puisse permettre d’accuser qui que ce soit de quoi que ce soit. Ils sont arrivés avec ce truc-là. Je vois ce qu’il y a dans le témoignage anonyme. Je vois le langage qui est utilisé en plus, ce témoignage il est faux. Il a été fait par quelqu’un qui n’est pas témoin anonyme.»

Le témoin reconnaît même qu’il a été également auditionné sous son nom:

«Le témoin sous X: Il fallait que cela apparaisse quelque part. Cela a commencé à fuiter que c’était peut-être moi. Un mois et demi après quand les journalistes ont commencé à trop chercher, les mecs ils m’ont dit : on est emmerdés, parce que bon ça pourrait remonter jusqu’à toi. Du coup on m’a reconvoqué. J’ai redéposé en décembre devant un officier de la SDAT.

Le journaliste: Donc on t’a proposé de retémoigner  pour dire l’inverse de ce qu’on t’avait fait dire en temps que témoin sous X ?

Le témoin sous X: Absolument, parce qu’on m’a fait dire : « Ils ne sont pas dangereux ».»

«Exposons à notre interlocuteur que nous sommes disposés à l’entendre à son domicile»

Le 25 novembre 2009, Libération révèle le pot aux roses: T42 et Jean-Hugues B. ne font qu’un. Les avocats des mis en examen déposent une demande d’audition du témoin en leur présence, mais le juge Thierry Fragnoli les prend de vitesse, grâce à l’un de ces procès-verbaux dont il a le secret:

«Le 25 novembre 2009,

Nous, Thierry Fragnoli, vice-président au Tribunal de Grande Instance de Paris, étant en notre cabinet, assisté de SF, Greffier;

Constatons recevoir ce jour à 12h02 un appel téléphonique d’un homme se présentant comme étant M. B., le témoin T42, que nous déduisons être le témoin anonyme ayant déposé sous le n°T42 dans la procédure n° 17/08. Cet homme nous déclare qu’il a lu le quotidien Libération de ce jour, qu’il a du mal à gérer la pression de la presse et que son identité a déjà été révélée il y a un an. Il nous dit que EP ne l’a pas mis sous pression et souhaite être entendu par nous en tant que témoin ordinaire. Précisons que EP est l’OPJ ayant procédé à l’audition de T42 (cote D43). Exposons à notre interlocuteur que nous sommes disposés à l’entendre à son domicile, s’il le souhaite, ce à quoi il consent et précisons que celui-ci nous donne son adresse afin que nous puissions nous y rendre.»

 «Je ne veux plus jouer le moindre rôle dans l’affaire dite de Tarnac»

Dès le lendemain, le juge est en Loire-Atlantique:

Question : Vous m’avez appelé au téléphone à mon cabinet hier vers midi en m’expliquant que vous étiez le témoin anonyme T42 de cette procédure, que vous faisiez l’objet de pressions, et que vous souhaitiez être entendu non plus sous couvert d’anonymat mais en tant que simple témoin. Votre démarche s’assimile à ce qu’on appelle une comparution volontaire de témoin, c’est pour cette raison que nous avons fixé ensemble téléphoniquement le rendez vous de ce jour pour votre audition. Avant que je ne commence à vous poser quelques questions, en la seule présence de ma greffière, que souhaitez vous me dire spontanément ?

Réponse : Je vous ai téléphoné parce que mon identité a été révélée par voie de presse. Chacun m’attribue à son gré des propos. Je ne veux plus jouer le moindre rôle dans l’affaire dite de Tarnac et je tiens à ce que mon identité figure au dossier afin que mon anonymat ne puisse plus faire l’objet d’un quelconque chantage. (…)

Question : Dans quelles circonstances, et pour quelles raisons, avez vous souhaité témoigner anonymement dans ce dossier ?

Réponse : Je n’ai pas souhaité témoigner anonymement, ni ne me suis présenté spontanément dans une gendarmerie. J’étais sous écoutes téléphoniques depuis plusieurs mois et je le savais. J’avais indiqué dans une première déposition que j’avais faite dans le dossier du TGI de Riom qu’au mois d’août, je m’étais rendu à Tarnac pour y emprunter un bouc et quand j’ai entendu à la radio que les gens avaient été interpellés, j’ai pensé que les gendarmes qui suivaient le dossier dans lequel j’étais partie civile dans le dossier de Riom, allaient extrapoler. Nous vivions à ce moment là sous protection permanente, j’ai donc reconnu auprès de l’adjudant en charge de mon dossier connaître le groupe dit de Tarnac et il a reconnu le savoir.

Il m’a invité à boire un café, a proposé que nous en discutions hors de la gendarmerie. Ce qui l’intéressait était plus de savoir si les gens de Tarnac étaient mêlés à ce que nous traversions, c’est à dire aux faits dont j’avais été victime. Il m’a rappelé le lendemain en me disant que j’allais devoir être entendu, il ne m’a pas dit dans quel dossier mais moi j’ai imaginé que c’était dans les deux dossiers. Tout ce dont je me souviens, c’est que les enquêteurs venaient de Paris.

Je me suis donc présenté à la gendarmerie de Riom, un matin à 8h00, le 13 ou le 14. L’adjudant m’attendait, il m’a expliqué que j’allais être entendu par deux officiers de la SDAT et qu’il l’assisterait pas à l’audition. Il a dit qu’il demanderait à relire le PV. Je me suis donc présenté au bureau qu’on m’indiquait à la section de recherche de Riom, les officiers se sont présentés. Il s’agissait d’EP et d’une autre personne prénommée T. Je tiens à vous signaler que quelques minutes après le début de l’instruction, le juge d’instruction chargé de mon dossier à Riom, s’est présenté pour saluer les officiers de la SDAT, c’était la première fois que je le rencontrais. Je ne peux pas vous dire pourquoi il était présent ce jour-là. (…)

«Je ne savais même pas que le statut de témoin anonyme existait»

Question : Saviez-vous en arrivant à la gendarmerie le matin de votre audition par les 3 OPJ de la SDAT, que votre audition allait se faire sous le statut de témoin anonyme ?

Réponse : Je ne savais même pas que le statut de témoin anonyme existait. Je ne savais pas si j’allais être entendu par un service de police ou par la gendarmerie. Je savais en tout cas que je n’apparaîtrai nul part parce que dans le cadre de mon dossier à Riom et des violences que nous subissions avec ma campagne, si ma proximité avec les gens de Tarnac avait été connue par les gens de mon village, ça aurait été la fin de tout. Il faut noter qu’à ce moment là, les médias présentaient les mis en cause comme un groupe ultra violent.

C’est le lieutenant EP qui m’a expliqué exactement ce qu’était la SDAT et le statut de témoin anonyme. C’est l’adjudant D. qui m’a parlé le matin de mon arrivée du bien fondé du statut de témoin anonyme par rapport à ce que je traversais avec ma compagne dans le cadre du dossier de Riom où j’étais partie civile.

Question : Avez-vous subi des pressions de la part du lieutenant EP ou de son collègue dont vous ne connaissiez que le prénom, TP, avant ou au cours de l’audition que vous avez faite sous le statut de témoin anonyme ?

Réponse : Pas de la part de EP ou de TP.

Question : Je crois déduire de votre précédente réponse que vous auriez subi éventuellement des pressions émanant peut être d’autres personnes, que pouvez-vous m’en dire ?

Réponse : Ma réponse dépasse le cadre de cette seule journée de mon audition en tant que témoin anonyme. Depuis un an, j’ai subi de nombreuses pressions, entre autre des chantages de la presse.

Question : Pouvez-vous être plus précis sur ces pressions et chantages de la presse***, ainsi que sur d’autres pressions ou chantages puisque vous avez employé l’expression « entre autres » ?

Réponse : Il s’est raconté dans les médias un nombre incalculable de mensonges. On a cherché à me salir moi et ma famille. Dans ce dossier, depuis le début, peu de gens s’intéressent à la vérité. On a d’abord dépeint le témoin anonyme comme un fou mythomane. Aujourd’hui, on cherche à en faire une victime de tortures policières mais personne ne s’intéresse à ce que nous avons pu réellement vivre quand nous étions agriculteurs à Teilhet (Puy-de-Dôme) et par la suite.

Toute cette agitation a juste contribué à nous isoler socialement, à compromettre nos projets de réinstallation et à faire de nous des suspects dans un dossier où nous n’avons toujours été que des victimes. Pour toutes ces raisons, je ne souhaite plus répondre à toutes questions ayant trait aux pressions que j’ai subies, ni à l’affaire de Tarnac dans son ensemble.

Question : Dois je comprendre qu’à partir de maintenant, vous refusez de répondre à toutes questions sur la déclaration que vous avez faite en tant que témoin anonyme en novembre 2008 ?

Réponse : Absolument.

«Le but semblait être de noyer le poisson en me faisant apparaître entre d’autres témoins»

Le juge est ensuite obligé d’aborder l’étrange audition, manifestement fabriquée, du 11 décembre 2008:

Question : Je ne vais pas évoquer votre déclaration comme témoin anonyme mais je voudrais maintenant vous parler de celle que vous avez faite le 11 décembre 2008 à 14h30 et qui paraît en contradiction avec précisément celle dont vous ne voulez pas parlez. Qu’avez-vous à en dire ?

Réponse : Je n’ai rien à en dire. J’ai été contacté par des officiers de la SDAT qui m’ont dit qu’ils souhaitaient me réentendre, cela leur semblait opportun car une rumeur circulait dans diverses rédactions que j’étais le témoin anonyme et que les gens de Tarnac étaient sans doute à l’origine de ce que j’avais subi dans le dossier de Riom. Je tiens à préciser que les journalistes qui m’avaient contacté à cette époque affirmait détenir leurs informations de hauts cadres de la gendarmerie.

Tel que je l’ai compris, le but semblait être de noyer le poisson en me faisant apparaître entre d’autres témoins, de toutes façons entendus suite aux écoutes téléphoniques menées dans le dossier de Tarnac. Je n’ai rien à ajouter ou à retrancher à ce témoignage.

Puis il interroge le témoin sur l’incohérence la plus flagrante de ses déclarations :

Question : Lors de votre audition comme témoin anonyme, vous avez déclaré qu’au cours de l’été 2007, une réunion de plusieurs semaines s’est tenue réunissant l’ensemble du réseau d’environ 45 personnes et que c’est durant cette réunion que l’ouvrage L’Insurrection qui vient aurait été finalisée à partir d’une trame écrite par Julien Coupat. Cependant, le dépôt légal de L’Insurrection qui vient est de mars 2007. Etes-vous bien sûr de vos souvenirs et ne vous méprenez-vous pas sur l’année ?

Réponse : Une fois de plus, je ne souhaite apporter aucun commentaire aux propos que vous citez.

En tous cas, elle avait l’air conviviale, l’audition de T42/Jean-Hugues B., le 14 novembre 2008, avec des gendarmes en goguette, un juge d’instruction qui passe faire coucou… Le juge Fragnoli vérifie. Le magistrat chargé du dossier du chevrier confirme «qu’il est passé à la BR de Riom et qu’il a salué M. B. sachant qu’il s’y trouvait, n’ayant pu le voir lors d’un précédent déplacement (…) dans le cadre du dossier qu’il instruisait concernant l’intéressé».

«C’est M. B. qui a fait à ma demande la suite de l’organigramme du groupe»

Le 4 décembre 2009, le juge auditionne l’adjudant D., le gendarme qui a fait le lien entre Jean-Hugues B. et la SDAT. Il dément les «pressions», et révèle que l’agriculteur lui a même dessiné un organigramme du groupe. Il contredit en plusieurs points les dernières déclarations du témoin:

«Sauf erreur de ma part, le 11 novembre en fin d’après-midi, M. B. m’appelle au bureau et me dit qu’il a des révélations à me faire. Moi j’ai pensé immédiatement au dossier que je traitais sur CR et où il était partie civile. Il ne pouvait pas venir à la gendarmerie, donc je lui ai proposé de venir chez lui. Il s’est passé une heure, une heure et demi entre son coup de fil et mon arrivée chez lui. Il n’a pas voulu qu’on reste chez lui et on est allés dans un café à Saint-Eloy-les-Mines. C’est à ce moment là qu’il m’a parlé des gens interpellés à Tarnac le matin même, affaire dont moi je n’étais pas au courant. Il a ajouté venir m’en parler de lui même pour ne pas voir débarquer un jour la police anti-terroriste chez lui. Il m’a expliqué à ce moment là être en relation agricole avec les gens de Tarnac, en l’occurrence avec un prénommé R. Il m’a dit qu’il y avait été il y a peu de temps pour récupérer un bouc à la ferme du Goutailloux. Ce que j’ai compris, c’est qu’il a préféré prendre l’initiative parce qu’il m’a expliqué que comme il les avait appelés au Goutailloux sur la ligne fixe, son numéro allait apparaître sur le listing téléphonique de la communauté de Tarnac. Il m’a aussi dit qu’il connaissait l’idéologie de ce groupe de Tarnac et qu’il ne la partageait pas et qu’en aucun cas, il ne voulait être mis en cause pour les dégradations pour lesquelles ils avaient été interpellés. Personnellement, j’avais même un peu de mal à voir l’intérêt de ce qu’il me racontait. Il s’en est rendu compte et il m’en a fait la remarque. (…)

J’avais sur moi un cahier de notes de travail où j’ai noté des bribes de ce qu’il m’a dit, cahier qui me sert également comme aide mémoire dans les dossiers dont je suis saisi. J’ai commencé à prendre deux ou trois lignes de notes et j’y ai renoncé tellement il parlait vite. Il m’a expliqué que ces gens habitaient à Tarnac, dans une espèce de petite communauté fermée, que ces gens là étaient d’extrême-gauche et anarchistes. Lui me soulignait tout le temps que même si il avait des idées très à gauche, il ne cautionnait absolument pas ce que pouvaient dire ou faire les gens de Tarnac. Je dois vous préciser qu’en aucun cas, il ne m’a parlé des dégradations sur les TGV. Je vous représente cette page de mon cahier que je peux vous laisser. Sur cette page, j’ai écrit Julien Coupat et ensuite, c’est [lui] qui a fait à ma demande la suite de l’organigramme du groupe, pour que je comprenne qui était qui, d’autant plus qu’il m’avait dit qu’il y avait des étrangers dans cette communauté. (…)

Alors que je lui demandais en quoi ces gens étaient intéressants et dangereux comme il me le disait, il m’a expliqué qu’au cours d’une discussion politique avec eux, sans me préciser exactement avec qui, ils lui avaient dit que le combat politique était plus important que la vie humaine. Je ne me rappelle plus exactement les termes exacts de ce qu’il m’a dit ensuite mais il a relié ça, dans mes souvenirs, et pour me montrer ce qu’il voulait dire, à l’affaire du préfet Erignac en Corse. Pour moi, il avait peur, aussi bien d’être relié avec ces gens, que de ces gens eux mêmes puisqu’il m’avait d’ailleurs expliqué que RM avait une certaine maîtrise des arts martiaux.»

Qui est allé chercher l’autre, le gendarme ou l’agriculteur? Jean-Hugues B. a-t-il subi des pressions? Ce qui est certain, c’est qu’en un an, la crédibilité du témoin sous X, pilier du dossier, s’est effondrée. A chaque fois qu’il a été entendu, il s’est contredit. Quant à la crédibilité des policiers de la SDAT, pris en flagrant-délit de bidonnage d’une audition – celle où Jean-Hugues B. témoigne sous son nom, le 11 décembre 2008 -, elle n’en sort pas vraiment grandie.


*Même si son identité complète est aisément retrouvable sur le Net et dans les articles de presse retraçant ses ennuis divers, vu le niveau de détail de ce qui va suivre, nous préférons respecter un anonymat qui évite une googlisation trop facile.

**L’expertise graphologique a été contestée, puis confirmée par une seconde expertise. En revanche, la mise en examen du chevrier a été annulée par la chambre de l’instruction, en 2010, pour vice de procédure. Et dans l’une de ses coïncidences dont l’affaire de Tarnac a le secret, les deux juges en charge de ce dossier à Clermont-Ferrand ont signifié la fin de l’instruction aux parties au printemps, presque au même moment que la juge de l’affaire de Tarnac. Jean-Hugues B. est toujours en Loire-Atlantique, non loin du site du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

***A ce stade de l’instruction, le juge d’instruction est particulièrement remonté contre les médias. Dans son refus d’une des demandes d’actes des avocats de mis en examen sur Jean-Hugues B., le 6 janvier 2010, il fait ainsi une incise:

«Il convient tout d’abord de relever que les médias, ayant parfois des méthodes loin d’être aussi contradictoires et respectueuses des droits que celles de la procédure pénale, n’ont manifestement pas pour mission première de concourir à la manifestation de la vérité, mais se doivent en tant qu’entreprises privées d’assurer une certaine audience par les moyens qu’ils jugent les plus efficaces.»


Article original par Laurent Borredon publié le 23/07/2014

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Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. Le 15 novembre, les neuf jeunes gens sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le dossier repose notamment sur un mystérieux témoin anonyme auditionné par la SDAT pendant les gardes à vue, le 14 novembre. Qui est-il?

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Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. Le 15 novembre, les neuf jeunes gens sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En 2009, les policiers continuent à surveiller, interpeller, sans grand résultat.

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