épisode

#8

Trois poulets sur les Millevaches

Plus de trois mois après l'ouverture d'une enquête préliminaire sur Julien Coupat et ses amis, les policiers de la SDAT commencent enfin leurs investigations le 15 juillet. Mais qui sont leurs «cibles»?

Ceci n’est pas un dépliant touristique, non. Il s’agit bien d’un procès-verbal policier. De plusieurs, même. Ils rendent compte de la visite de trois policiers de la SDAT en Corrèze, du 22 au 24 juillet 2008. Il s’agit de leur premier déplacement important pour l’enquête. Les jours précédents, ils sont allés inspecter les boîtes aux lettres des domiciles supposés de Julien Coupat, dans l’est parisien.

Dans l’équipage qui se dirige vers Tarnac (Corrèze), ce 22 juillet, deux officiers – le chef du groupe chargé de l’enquête, AL, et son adjoint, BM – et un gardien de la paix, SH. A 4 heures du matin, le 22, les trois hommes quittent «le service» – le siège de la SDAT à Levallois-Perret – pour le plateau des Millevaches. Ils arrivent à 11 heures.

«Le lieu-dit « Le Goutailloux » est implanté en région Limousin, dans le nord-ouest du département de la Corrèze, à moins de cinq kilomètres de la frontière formée par ce département avec ceux de la Creuse et de la Haute-Vienne. La métropole régionale la plus proche est Limoges, sise à une soixantaine de kilomètres des lieux.

Depuis la région parisienne on accède à ce lieu-dit en empruntant successivement les autoroutes A10, A71 et A20, puis en quittant cette dernière autoroute à hauteur de Limoges. On emprunte ensuite la route départementale 979 en direction de Eymoutiers (Haute-Vienne). Depuis cette ville on emprunte enfin successivement les routes départementales 940 et 69 en direction de Tarnac (Corrèze).

Précisons que le lieu-dit « Le Goutailloux » est situé sur le territoire de la commune de Tarnac (Corrèze), village d’environ trois cents habitants, sis en zone rurale en bordure du plateau des Millevaches. Il est traversé par plusieurs axes routiers : la route départementale 160 reliant Toy-Viam au sud à Peyrelevade au nord-est, et la route départementale 109 reliant Saint-Merd-lès-Oussines au sud-est à Faux-la-Montagne au nord.

Le lieu-dit « Le Goutailloux » est situé à environ deux kilomètres au sud de Tarnac, le long d’une route goudronnée à voie unique permettant de rejoindre encore plus au sud la commune de Toy-Viam.

Lorsque l’on emprunte cette voie de circulation depuis Tarnac, en direction du lieu-dit « Le Goutailloux », on traverse après environ 1500 mètres, le hameau de Javaud, composé d’une dizaine d’habitations bourgeoises, puis on débouche à environ 500 mètres au sud à ce lieu-dit.

Précisons que ce lieu-dit est donc situé en complète zone rurale, dans un environnement très vallonné, alternant zones boisées, champs cultivés et prairies d’élevage. Notons également que le lieu-dit « Le Goutailloux » est implanté au fond d’un petit vallon entre la colline « Puy-le-Cluzard » à l’est et « Puy-Auber » à l’ouest.»

«Surveillance physique discrète»

Commence alors une jolie balade dans les collines de Corrèze. Il est temps de surveiller à pieds – pardon, «pédestrement»:

«Au vu de l’isolement des lieux et aux fins d’exercer une surveillance physique discrète des lieux, décidons d’approcher le lieu-dit « Le Goutailloux » en piéton. A cette fin gagnons le village de Toy-Viam et empruntons pédestrement un chemin débutant sur le territoire de cette commune en bordure de la route départementale 160 à hauteur du lieu-dit « La Genetouse ».

Constatons que ce chemin se dirige depuis la route vers le nord-est et s’élève pour gagner le « Puy-le-Cluzard » en zone boisée. Arrivé au sommet, empruntons un sentier sur la droite durant une centaine de mètres puis un chemin d’exploitation forestière sur la gauche. Celui-ci descend en direction du lieu-dit « Le Goutailloux ».»

«Obtenir une vue des allées et venues»

La promenade continue durant sept kilomètres, tout autour de la ferme. Neuf photos sont prises, l’immatriculation de plusieurs voitures est notée et vérifiée. Puis la conclusion est posée: impossible d’effectuer une surveillance humaine des lieux.

 «Précisons que même en s’élevant par ce chemin en surplomb de la route, il est difficile d’obtenir une vue des allées et venues devant les habitations du Goutailloux en raison de la présence de bosquets d’arbres et de la rangée de sapins implantée en bordure de route devant les habitations. (…)

Au terme de cette surveillance, indiquons qu’il est donc difficile d’opérer de façon discrète une surveillance physique fixe durable sur le lieu-dit « Le Goutailloux », en raison de la configuration des lieux et de l’environnement, mais également en raison de l’isolement des lieux.»

7 km à pieds dans les collines

460 km en voiture, 7 km à pieds dans les collines de Corrèze, la promenade a atteint son but: noter la totalité des immatriculations des voitures présentes, et prouver sur PV la nécessité d’une surveillance vidéo. Une nécessité dont la SDAT ne devait pas trop douter, puisque tout était prêt: les caméras sont installées dès le surlendemain.

«Mentionnons procéder ce jour à l’installation d’un système de vidéo surveillance consistant dans l’installation de trois caméras fixes dissimulées aux abords de l’axe reliant la commune de Tarnac au lieu-dit « Le Goutailloux », deux étant destinées à constater sur cet axe, au Nord, les passages de piétons et de véhicules entre Tarnac et Le Goutailloux, la troisième visant à constater le passage des véhicules entre Le Goutailloux et le lieu-dit le Bos-de-Vézy, au Sud, sans permettre d’extraire de cliché photographique.»

«Porteur d’un torchon sur l’épaule droite»

Pendant l’installation des caméras, les surveillances continuent, «discrètement». Les policiers s’intéressent maintenant au Magasin général.

«Où étant, à  13h05, dans la rue du Tilleul, au numéro 12, constatons la présence du « Magasin Général de Tarnac », face auquel nous remarquons la présence [de deux véhicules]. De l’autre côté de la chaussée, face à l’aire de stationnement sur laquelle se trouvent les deux véhicules décrits supra, constatons que le « Magasin Général de Tarnac » propose un service de restauration, notamment en terrasse abritée par un haut-vent [sic] en dur, délimitée par des bacs à fleurs et composée d’environ une demi-douzaine de tables.»

Dans cette ambiance conviviale et fleurie, les policiers observent attablés «quatre individus âgés chacun de 30 ans environ». Ils sont «servis par un troisième, âgé de 25 à 30 ans, porteur d’un torchon sur l’épaule droite». Heureusement, ce n’était pas l’épaule gauche. Ces individus, regrettent les policiers, «il nous est cependant impossible de les décrire précisément ni d’en tirer des clichés permettant de le faire, le contre-jour étant trop marqué et les conditions de discrétion ne pouvant être assurées qu’en passant rapidement devant l’établissement situé, ici aussi, dans une zone très peu passante. Tirons néanmoins deux clichés de cette scène se déroulant à la terrasse du « Magasin Général de Tarnac ».»

 «Deux individus de type européen, les cheveux bruns, porteurs de t-shirts et d’un blue-jean pour l’un et d’un bermuda de couleur clair pour le second, (…) semblant sortir de l’intérieur du « Magasin Général de Tarnac »» et «un individu de type européen âgé de 50 ans environ, porteur d’une barbe grisonnante fournie et d’une casquette de couleur sombre» sont également pris en photos.

Après trois jours de travail, la SDAT repart de Corrèze avec plusieurs noms, quinze photos. Elle va pouvoir tirer la pelote. Il s’agit de recréer judiciairement, de prouver l’existence du «réseau» sur lequel on enquête. (Presque) comme si le travail des services de renseignement n’avait jamais existé.

 


*La surveillance physique était impossible… la surveillance vidéo réserve aussi des surprises, comme doit le constater la SDAT, le 20 août: «Vu la mise en place d’un dispositif de surveillance vidéo aux abords du lieu-dit Le Goutailloux à Tarnac (Corrèze) le 24 juillet 2008. Constatons qu’un dysfonctionnement du système d’enregistrement des images rend impossible le visionnage des séquences filmées entre le 24 juillet et le 20 août 2008.» Un mois de perdu. Maudite technologie.


Article original par Laurent Borredon publié le 20/06/2014

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#7

Plus de trois mois après l'ouverture d'une enquête préliminaire sur Julien Coupat et ses amis, les policiers de la SDAT commencent enfin leurs investigations le 15 juillet. Après avoir repéré les points de chute du groupe à Paris, ils se rendent à Tarnac (Corrèze).

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#9

Les policiers de la SDAT ont mis du temps, mais ils sont maintenant à 200% sur le «groupe Coupat» - une vingtaine de jeunes au tournant de la trentaine, qui vivent entre Tarnac, Limoges, Rouen et Paris. Ecoutes, surveillances humaines et vidéo, leurs mouvements sont suivis de près.

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