épisode

#40

Les tubes de l’hiver

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat et huit de ses amis, sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le juge Thierry Fragnoli est chargé de l’instruction. En mars 2010, des tubes en PVC sont découverts dans la Marne, là où Julien Coupat et Yildune Lévy se sont arrêtés la nuit des sabotages, selon les policiers de la SDAT.

Ça lui est venu comme ça, au juge Thierry Fragnoli. Des mois que les avocats des mis en examen cherchent la petite bête sur le procès-verbal de surveillance et de filature de Julien Coupat et Yildune Lévy, en Seine-et-Marne, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, la cote D104 (voir épisodes 16 et 17), et il a soudainement une idée.

Le 5 novembre 2009, il a été contraint de demander des précisions aux policiers de la SDAT  « sur la surveillance du véhicule », « sur les diverses personnes s’étant rendues sur les lieux où était stationné le véhicule entre 4 heures et 4h20 », « sur la chaîne de transmission de l’information d’une dégradation commise sur la ligne du TGV ».

Mais une autre demande se glisse au milieu de ces trois points litigieux:

« Sur l’arrêt – à priori inexpliqué – au pied du pont de la Marne à 4h45, durant quelques minutes après le départ du lieu de stationnement de la voie de service à proximité immédiate de la voie de chemin de fer. Faire vérifier par recherche sous-marine à l’aplomb de cet arrêt – ainsi que 30 m en amont et 30 m en aval de ce point – si des objets quelconques, qui pourraient être en relation avec les mis en examen et les faits reprochés, s’y trouvent, le cas échéant le saisir et les placer sous scellés. »

L’arrêt était décrit comme tel dans le PV:

« A 4h45, le véhicule s’arrête au pied du pont de la Marne sur la commune du Trilport, puis après quelques minutes repart en direction de Paris. »

Lors de son interrogatoire du 8 janvier 2009, Yildune Lévy n’en gardait pas de souvenir :

«Je ne me souviens pas de cet arrêt. J’avais peut-être envie d’uriner à ce moment-là, je ne m’en rappelle plus.»

«AL de la SDAT m’a indiqué rechercher des tubes PVC de 1 mètre environ»

Le 28 mai 2010, la SDAT transmet ses réponses sur les trois premiers points (voir épisodes 16 et 17). Le quatrième, lui, est traité à part, dans un envoi du 15 juin 2010. Il relate les différentes plongées. A chaque plongée, un procès-verbal de la SDAT, un rapport de la brigade fluviale de la Préfecture de police, et, quand la pêche est bonne, une audition du plongeur. Ou presque.

Le magistrat avait demandé de chercher « des objets quelconques ». Selon le premier rapport de plongée rédigé par le brigadier NL de la brigade fluviale, les policiers de la SDAT sont bien plus spécifiques :

« AL de la SDAT (…)  m’a indiqué rechercher un objet métallique de forme courbée aux extrémités et pesant 1.044 Kg et des tubes PVC de 1 mètre environ pouvant se trouver dans la Marne sous le pont de la nationale 3 ou dans une zone en amont ou en aval de celui-ci. »

En clair, il faut trouver un crochet, et les perches qui ont pu servir à le hisser sur la caténaire pour le sabotage de Dhuisy. Mais, ce 15 février 2010, ce n’est pas la peine :

« A 10h20, constatons que le plongeur ressort de l’eau et nous expose les éléments suivants: la Marne étant actuellement en crue, le fort courant au niveau de la zone de recherche empêche toute prospection efficace. En effet, malgré un lest très conséquent le plongeur ne parvient pas à se plaquer au fond et à procéder à ses recherches par tâtonnement la visibilité étant nulle. Les fonctionnaires de la brigade fluviale nous informent alors que les recherches ne pourront s’opérer qu’à l’issue de la décrue prévue d’ici environ un mois. »

Cinq semaines plus tard, tout le monde se retrouve donc sur les bords de Marne. Nous sommes le 23 mars. Trois plongées ne donnent aucun résultat :

« Les plongeurs nous précisent que le fond est jonché de débris de toutes sortes et qu’ils ont effectué des recherches pendulaires de l’extrémité du fouet en remontant vers la gueuze. Cette zone de recherche s’étend de la berge à la première pile du pont au nord et sur quinze mètre en aval du pont coté sud. Les recherches sont restées vaines. »

«Difficultés de découverte»

Le 24 mars, enfin, les recherches donnent quelque chose, relate la SDAT :

« Constatons que l’objet sorti de l’eau est un tube en PVC d’1,30 mètres de long, et de 12 centimètres de diamètre duquel dépasse un bâton de bois noirci d’environ quinze centimètres fixé au tube par des clous. Précisons que le tube est de couleur claire, qu’il présente des tâches de couleur grise et marron, et observons que des coquillages sont accrochés sur une des extrémités du tube.(…) Le plongeur sort de l’eau et nous expose les faits suivants : Le premier tuyau a été découvert au fond de l’eau, à l’horizontale, côté aval, à l’aplomb du pont de la nationale 3, au milieu de l’arche. Ce fonctionnaire de la Brigade fluviale nous précise n’avoir aperçu qu’une forme cylindrique dépasser de la vase. Il ajoute que l’objet a été difficile à relever du fond de l’eau car presque intégralement recouvert de vase. Le deuxième tuyau à environ 10 mètres du précédent et à 5 mètres de la berge, à l’aplomb du panneau de circulation de navigation fluviale « sens interdit », situé côté amont sous l’arche la plus proche de la berge. Le plongeur nous fait part des mêmes difficultés de découverte et de relevage du deuxième tuyau en raison de la quantité de vase importante recouvrant l’objet.  Constatons que le deuxième objet sorti de l’eau est un tube en PVC d’ 1,40 mètres de long, et de 11 centimètres de diamètre duquel dépasse un bâton de bois d’environ quinze centimètres. Précisons que le deuxième tube est de couleur claire qu’il présente de nombreuses tâches foncées. (…) Constatons que sur chaque tube, le morceau de bois observé est fixé au PVC par des clous afin d’être solidarisé au tube. Observons que chacun des morceaux de bois dépasse d’environ quinze centimètres du tube auquel il est fixé, l’ensemble (tube + morceau de bois) mesurant 1,55 mètres. Constatons que le tube découvert en premier, plus clair que l’autre présente de la mousse, dès lors chargeons les fonctionnaires du service local de police technique de procéder à un prélèvement de celle-ci. Faisons également prélever de l’eau de la Marne afin que la mousse soit préservée dans son milieu. »

Le magistrat fait lui-même le déplacement pour constater les découvertes.

«Un tube en P.V.C dont une des extrémités est encerclée de ruban adhésif»

Le 26 mars, nouvelle plongée. Les conditions sont les mêmes, le courant est faible, la visibilité à un mètre. Et la pêche est immédiatement miraculeuse, explique la SDAT.

« A 10 heures, constatons que le plongeur remonte à la surface et nous présente un objet de forme cylindrique pouvant correspondre à un tube en PVC. Munis de gants, déposons l’objet sur la berge dont nous constatons qu’il s’agit d’un tube en P.V.C d’une longueur de 2,03 mètres et d’un diamètre de 5 centimètres, dont l’une des extrémités est enroulée de ruban adhésif de couleur noire sur une longueur d’environ 9,5 centimètres. Observons que le plongeur s’immerge à nouveau pour continuer les recherches.  A 10h05, le plongeur refait surface et nous désigne un objet de forme cylindrique pouvant correspondre à un tube en PVC, plus volumineux que celui découvert quelques instants plus tôt.  Munis de gants, procédons à la sortie de l’eau de l’objet et le déposons sur la berge. Constatons qu’il s’agit d’un tube en PVC d’une longueur de 2,10 mètres et d’un diamètre de 8 centimètres. (…)

A 11h15, constatons que le plongeur sort de l’eau et nous expose les faits suivants : le premier tube a été découvert coincé entre des rochers sous la première arche du pont, côté amont, à 5 mètres de la berge et à 1 mètre du panneau de navigation fluviale « sens interdit » situé au niveau de la première arche côté amont, en direction de l’aval. Le deuxième tube a été découvert à 1,50 mètres du précédent, à 7 mètres de la berge, positionné en biais, pris entre différentes pièces d’un cyclomoteur. »

Quinze minutes plus tard, le deuxième plongeur se met à l’eau. Il est tout de suite tout aussi heureux :

« A 11h45, constatons que le plongeur remonte à la surface muni d’un objet de forme cylindrique ressemblant fortement au premier tube découvert ce jour.  En prenant toutes précautions utiles à la préservation des traces et indices, récupérons l’objet et le déposons sur la berge. Constatons qu’il s’agit d’un tube en P.V.C d’une longueur de 2,02 mètres et d’un diamètre de 5 centimètres de long, dont une des extrémités est encerclée de ruban adhésif.

Observons la présence d’un rectangle blanc à la moitié du tube pouvant correspondre à une étiquette ayant été arrachée. Observons que le plongeur s’immerge à nouveau pour continuer les recherches. A 12h40, le plongeur refait surface et nous désigne un objet de forme cylindrique de taille inférieure à ceux découverts jusqu’alors. En prenant toutes précautions utiles à la préservation des traces et indices, récupérons l’objet et le déposons sur la berge. Constatons qu’il s’agit d’un tube conique d’une longueur de 1,42 mètres dont un côté mesure 2 centimètres de diamètre tandis que l’autre mesure 3 centimètres. Observons que le plongeur s’immerge à nouveau pour continuer les recherches.  A 12h50, le plongeur remonte de nouveau à la surface et nous désigne un objet de forme cylindrique ressemblant fortement à celui précédemment découvert. Après récupération de l’objet à l’aide de gants, constatons que celui-ci est de type conique, d’une longueur de 1,29 mètres dont un des côtés mesure 3,2 centimètres de diamètre tandis que l’autre mesure 3,5 centimètres de diamètres. »

«Il était alors positionné au fond de l’eau à côté d’un caddy de supermarché»

La découverte n’a rien à voir avec celles des jours précédents. Ni vase, ni mousse, les tubes étaient juste posés là, attendant la pêche :

« Une fois sorti de l’eau, le plongeur nous expose les circonstances de découverte des trois derniers tubes. Le tube mesurant 2,02 mètres de long dont une des extrémités est encerclée de ruban adhésif a été découvert côté aval, le long du quai, à l’aplomb du pont, au pied des rochers situés à un mètre du muret en béton rehaussant la berge. Le tube conique d’une longueur d’1,42 mètres a été découvert à l’aplomb du pont, à 5 mètres de la berge côté aval. Il était alors positionné au fond de l’eau à côté d’un caddy de supermarché à l’enseigne Carrefour renversé. Le tube conique mesurant 1,29 mètre a été découvert à un mètre du précédent, positionné en biais, dans le caddy de supermarché à l’enseigne Carrefour précédemment mentionné. »

Les précédents plongeurs, qui étaient passés au même endroit, n’avaient signalé ni le caddy, ni les tubes.

La plongée ne fait pas l’objet d’un rapport en bonne et due forme, non plus, mais d’un simple « évènement de main courante », c’est-à-dire le compte-rendu d’activité que doit remplir n’importe quel policier pour justifier de son emploi du temps. Dernière bizarrerie, le plongeur n’est pas auditionné avant le 12 juillet 2010 – c’est la seule fois qu’un tel délai se produit.

Le 7 avril, les recherches se terminent sur une dernière plongée. Un petit tube est découvert. A nouveau, « il présente des tâches de couleur grise et marron et (…) de la mousse en petite quantité ».

Mais peu importe. Plus de seize mois après la commission des faits, la SDAT et le juge ont désormais des tubes. Coûte que coûte, il va falloir les rattacher à Julien Coupat et Yildune Lévy.


Article original par Laurent Borredon publié le 28/07/2014

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#39

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat, huit de ses amis, et la mère de Gabrielle H. sont interpellés le 11 novembre au petit matin. Le 15 novembre, les neuf jeunes gens sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le juge Thierry Fragnoli est chargé de l’instruction.

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#41

Après le sabotage de trois lignes TGV le 8 novembre 2008, Julien Coupat et huit de ses amis, sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le juge Thierry Fragnoli est chargé de l’instruction, avec deux autres magistrats. Fin 2010, c'est Edmond Brunaud qui se charge d'interroger Julien Coupat.

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