épisode

#14

Une nuit en Moselle

Début novembre 2008. L'enquête préliminaire sur un «réseau de militants anarcho-autonomes» constitué autour de Julien Coupat a été ouverte depuis bientôt six mois. Les policiers de la SDAT chargés de l'enquête ont peu d'éléments. La nuit du 7 au 8 novembre va tout changer.

Quand les gendarmes ont des instructions, ils s’y tiennent. Cette nuit du 7 au 8 novembre 2008, un convoi «Castor» de produits nucléaires doit traverser la France, depuis le centre de retraitement de La Hague (Manche) jusqu’à l’Allemagne. Toutes les brigades sont appelées à la vigilance, d’autant plus que le 7 novembre est la date-anniversaire de la mort de Sébastien Briat, un militant tué par un train lors d’une action en 2004 en Meurthe-et-Moselle. A 0h45, un équipage du peloton de surveillance et d’intervention (PSIG, unité chargée de patrouiller, de traquer les flagrants délits) de Sarrebourg prend son service.

Les gendarmes préviennent le centre opérationnel de Metz et héritent d’une première mission: «un véhicule immatriculé dans le 92, sans autre précision, serait abandonné aux abords d’une zone forestière sur la route communale reliant le lieu-dit Saint-Ulrich, commune de Haut-Clocher (Moselle), à la départementale 27 menant à Sarrebourg (Moselle).»

 

Trente minutes plus tard, ils sont sur place.

«Au nombre de trois, les occupants dorment dans le véhicule. Le contrôle du véhicule et de ces occupants est motivé par la nécessité de prévenir tout acte malveillant de nature à perturber le passage de déchets nucléaires « Castor » qui traversera l’arrondissement de Sarrebourg le 8 novembre 2008 au cours de la matinée. Cette surveillance particulière de la voie ferrée nous est ordonnée. Un arrêt de ce convoi est programmé le 8 novembre 2008 vers 11 heures à la gare de Reding distante d’environ 3 kilomètres. Il empruntera le ligne Metz/Strasbourg. Après les avoir réveillés et les avoir informés de notre qualité, nous procédons dans un premier temps au contrôle des identités des personnes à bord ainsi que des pièces afférentes à la conduite et la mise en circulation du véhicule précité. Lors du contrôle au fichier national des personnes recherchées, il appert que deux des personnes contrôlées font l’objet d’une fiche de recherche.»

Il s’agit de GH, «Gaby», l’ancienne compagne de Julien Coupat, et de BR, l’un des gérants de l’épicerie de Tarnac. «Faire l’objet d’une fiche de recherche», cela signifie être dans le Fichier des personnes recherchées (FPR), un grand fourre-tout dans lequel les services de police et de gendarmerie peuvent faire inscrire les fugitifs, les disparus, bien-sûr, mais aussi les mis en cause dans leurs investigations, leurs cibles, pour pouvoir suivre leurs allées et venues.

«Aucun signe d’agressivité, peu loquaces»

GH fait l’objet de pas moins de trois fiches au FPR. La première est une fiche de «recherche – police judiciaire», émise par la SDAT dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte le 16 avril. Le motif: elle est «un témoin important», selon le document. La fiche mentionne la «conduite à tenir»: «Ne pas interpeller», «ne pas attirer l’attention sur les motifs de la recherche», «ne pas intervenir si infractions découvertes sauf flagrance ou nécessité». La deuxième et la troisième sont des fiches «sûreté de l’Etat» émises par la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et par les RG de la Préfecture de police de Paris. Pour la DCRG, GH est un «individu proche de la mouvance anarcho-autonome et susceptible de se livrer à des actions violentes»; pour la Préfecture de police, elle est une «militante proche de la mouvance contestataire susceptible de se livrer à des actions violentes». Dans les deux cas, la conduite à tenir est la «recherche de renseignements sans attirer l’attention». BR n’a que deux fiches, les deux premières: le plateau des Millevaches n’intéresse pas les RG parisiens. La troisième passagère s’appelle MG, elle ne fait l’objet d’aucune fiche.

«Il se pourrait que mademoiselle G. et monsieur R. forment un couple de par les renseignements obtenus de monsieur R.. Lors de notre prise de contact avec les occupants, ces derniers nous signalent revenir d’un voyage touristique dans la région, en l’occurrence être allés voir la famille de mademoiselle H. qui demeurerait à Baccarat (Vosges), sans plus de précision. Ils nous disent se reposer dans le secteur avant de reprendre la route pour retourner à Limoges. Mentionnons que lors de ce contrôle les personnes n’ont montré aucun signe d’agressivité. Leur attitude laisse cependant penser qu’ils restaient très méfiants par rapport aux questions posées. Il est à noter que les trois personnes contrôlées sont restées peu loquaces et n’ont fourni que peu de détails.»

Les gendarmes ne leur en tiennent pas rigueur, et ne les ennuient pas plus longtemps:

«Nous avons quitté les lieux du contrôle après avoir indiqué aux trois personnes présentes qu’elles pouvaient rester sur place et continuer à se reposer avant de reprendre la route, leur véhicule ne gênant pas la circulation.»

«Très difficile d’obtenir de plus amples renseignements»

De retour dans leurs locaux, les membres du PSIG de Sarrebourg préviennent la SDAT, à Levallois.

«A 3h15, conformément aux directives mentionnées dans les fiches de recherches, nous prenons attache avec la permanence du service de la DCPJ à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) (…). Notre interlocutrice, le commandant de police AM, nous demande de bien vouloir lui adresser par fax, et sans formalisme particulier, les renseignements recueillis par nos services.»

Les RG sont morts, et c’est désormais la DCRI qu’il faut prévenir par ailleurs. Les gendarmes attendent leur prise de service suivante, le lendemain – il n’y a pas le feu:

 «Le 9 novembre 2008 à 00h15, nous prenons contact avec la permanence de la DCRI. L’officier de permanence nous prescrit de lui faxer une copie de la procédure, ainsi que les fiches de recherches des individus contrôlés.»

Et ils attendent encore 15h30, le dimanche 9 novembre, pour rédiger le «procès-verbal de renseignement judiciaire» dans lequel ils racontent l’épisode. C’est qu’entre-temps, le simple contrôle d’identité a pris une toute autre ampleur. D’ailleurs, les gendarmes se couvrent, au passage, comme ça, des fois qu’on leur chercherait des noises:

«Agissant dans le cadre des directives et conduites à tenir des fiches de recherches, il nous aurait été très difficile d’obtenir de plus amples renseignements les concernant sans attirer leur attention.»

Entre-temps, le réseau TGV français a été la cible d’une opération de sabotage inédite.


Article original par Laurent Borredon publié le 27/06/2014

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Début novembre 2008. L'enquête préliminaire sur un «réseau de militants anarcho-autonomes» constitué autour de Julien Coupat a été ouverte depuis bientôt six mois. Les policiers de la SDAT chargés de l'enquête ont peu d'éléments. La nuit du 7 au 8 novembre va tout changer

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#15

Durant la nuit du 7 au 8 novembre, plusieurs lignes de TGV ont été visées par des sabotages. Le 8 novembre au matin, la SNCF est sur les dents, et les gendarmes enquêtent. Ils ont découvert qu’une mystérieuse équipe de policiers était présente sur les lieux d’un des sabotages.

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