épisode

#13

Veni, vidi, Vichy (« Nicolas, nous voilà! »)

Début novembre 2008. L'enquête préliminaire sur un «réseau de militants anarcho-autonomes» constitué autour de Julien Coupat a été ouverte depuis bientôt six mois. Les policiers de la SDAT chargés de l'enquête ont peu d'éléments. La nuit du 7 au 8 novembre va tout changer

Il faut être honnête. Parfois, lorsqu’on examine le travail effectué par la SDAT lors des sept mois que dure l’enquête préliminaire sur Julien Coupat et ses amis (16 avril 2008-15 novembre 2008), on est dérouté. Et forcément, on s’interroge sur le rôle joué par la DCRI, par ses groupes de surveillances – toujours cités dans les procès-verbaux, mais sans plus de détails -, par ses moyens techniques (caméras, balises ou écoutes, forcément illégales, puisque seules les écoutes administratives lui sont autorisées de manière générale, et que même elles ne le sont pas dans notre cas, puisqu’il y a une procédure judiciaire).

 

Il y a les ellipses, comme lorsque les policiers retrouvent Julien Coupat après l’avoir perdu à l’autre bout de la rive gauche parisienne (voir l’épisode 11). On s’interroge: ne connaissaient-ils pas tout simplement sa destination (la manifestation anti-Edvige)? Mais pourquoi ne le disent-ils pas?

Il y a les renseignements anonymes à la fois bizarrement vague et excessivement précis, comme celui sur la venue d’un militant italien à Tarnac le 29 juillet. On ne connaît pas son nom, mais quasiment son numéro de train:

«Ce jour, sommes avisés par une source désirant garder l’anonymat qu’un membre important de la mouvance anarcho-autonome d’origine italienne et agissant au niveau européen est susceptible de se rendre le 30 juillet 2008 en milieu d’après midi à la gare de Limoges, en provenance de Paris, afin d’y être pris en charge dans le but de rencontrer le nommé Julien Coupat.»

«Procédons à des recherches sur les sites Internet connus du service»

Et puis il y a la force déductive qui force le respect dont les policiers font preuve, le 31 octobre, pour déterminer la participation à une manifestation à Vichy, qui doit avoir lieu les 2 et 3 novembre.

«Vu l’enregistrement sur la ligne téléphonique cellulaire numéro X faisant l’objet d’une interception des communication (…) de deux conversations numérotées 60 et 64 au cours desquelles il est fait référence à l’organisation d’un départ collectif en véhicule, procédons à des recherches sur les sites Internet connus du service pour référencer les actions organisées par la mouvance anarcho-autonome afin de déterminer si une manifestation va être organisée sous peu.  Il ressort de ces recherches que le site Indymédia Nantes annonce un « contre-sommet » les 2 et 3 novembre 2008 à Vichy (Allier) (…). Opérons alors immédiatement un rapprochement entre ces événements et le départ groupé de plusieurs résidants de Rouen les 1er et 2 novembre 2008.»

Ils sont forts, les policiers de la SDAT. Car les deux conversations, les voici. Elles ont lieu entre deux amis de Rouen et elles ne sont pas forcément d’une grande clarté (y compris pour les deux participants):

 

N° Comm. : 60 Date : 2008-10-31 Heure : 19:05:11 Durée : 115

Transcription:

C.: allo?

Xh2: ouai.

Clément: ouai.

Xh2: bon dis moi tu as eu des nouvelles de G. les mauriciennes (phonétique)?

C.: ah non.

Xh2: non?

Clément: non.

Xh2: t’es à peu près sûr de ta team toi?

C.: euh bah ouai ouai ouai pourquoi?

Xh2: bah non parce que on voulait être sûrs nous, pour savoir du coup qui vient avec nous euh au final définitivement.

  1. : bah je te dis moi je crois que c’est les gens que je t’ai dit.

Xh2 : et F elle y va comment?

C.: bah avec toi normalement.

Xh2: ok ok il faudrait qu’elle essaye de me joindre alors F.

C.: moi je vais passer à C. si elle y est je lui dis , je crois qu’elle y est.

Xh2: et vous faites quoi là?

C.: bah je sais pas trop mais on pourrait faire un truc ce soir.

Xh2: bah ouai why not.

 

N° Comm. : 64 Date : 2008-10-31 Heure: 19:24:30 Durée : 115

Transcription:

C.: allo.

Xh : est-ce que toi tu es déjà à C?

C.: oui oui.

Xh: tu peux me passer F. ?

C.: attends je regarde si elle est là… apparemment elle dort.

Xh: elle dort?

C.: oui

Xh: elle est dans aucune team?

C.: je t’ai dis qu’elle était dans la tienne, je peux te le dire une sixième fois.

Xh: c’est sûr?

C.: oui c’est sûr moi c’est ce qu’on m’a dit, c’est ce que Co. m’a dit hier.

Xh: oui hier mais moi mardi c’était pas cette team là que j’avais du coup depuis.

C.: oui mais parce que mardi moi je devais partir avec toi.

Xh: ouai.

C.: mais comme moi il y a la voiture qui se libère du coup moi je prends la voiture de mon père mais à part ça oui oui normalement.

«Susceptibles de participer à des heurts»

Le 3 novembre au matin, les policiers franchissent un nouveau cap dans leurs déductions, en prévoyant d’office dans leur procès-verbal la participation de Julien Coupat à ce voyage organisé entre Rouennais. Quant à la manifestation, ils savent déjà qu’elle va donner lieu à «des heurts». Sans pour autant se fonder, officiellement, sur davantage d’éléments que la recherche du 31 octobre sur Internet:

«Vu les recherches effectuées (…) (Cf procès verbal de recherches en date du 31 octobre 2008), éléments de nature à déterminer que le nommé Julien Coupat ainsi que les différents individus membres de la mouvance anarcho-autonome identifiés dans la présente enquête sont susceptibles de participer à des heurts en marge de ce sommet.»

Le PV de surveillance des policiers démarre donc à 8 heures au domicile des parents Coupat, à Rueil-Malmaison, là où ils ont vu Julien Coupat pour la dernière fois, la veille. A la suite d’une autre déduction étonnante à partir des voitures présentes et absentes devant la maison que nous allons ici épargner au lecteur, ils décident brusquement qu’en fait, Julien Coupat n’est pas là, et ils quittent les Hauts-de-Seine pour Vichy.

«Sweats à capuches»

Ils y arrivent à 13 heures. Ce jour-là, à Vichy, le ministre de l’immigration et de l’identité nationale de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, a eu l’idée «finaude», comme l’écrit alors Le Monde, de réunir tous les ministres chargés de l’immigration de l’Union européenne. L’initiative a fait tousser certains ; elle a franchement scandalisé d’autres, qui ont décidé de manifester. Le défilé part de Cusset, à côté de la ville thermale. Les policiers le décrivent ainsi:

«A 18 heures, observons que le rassemblement qui compte maintenant environ 2 000 personnes démarre en empruntant l’avenue de Vichy en direction de la commune du même nom. Cette manifestation est composée d’organismes institutionnels tels la CGT, les Verts, la Fédération anarchiste notamment. Notons que le groupe de jeunes individus avec en son centre Julien Coupat démarre également en 3/4 fin de manifestation.»

Clairement, Julien Coupat est le leader du groupe, dont les membres portent des «sweats à capuche», il a même un mégaphone:

«Julien Coupat est alors porteur d’un mégaphone qu’il porte à bout de bras entonnant une chanson dont le refrain est « Nicolas nous voila, devant toi le sauveur de la France nous jurons pauv’taré de te pendre à un croc de boucher ». Observons qu’alors que Julien Coupat entonne cette chanson deux individus dont le nommé BR distribuent aux manifestants un papier sur lequel figure les paroles de la chanson afin que celle-ci soit reprise par l’ensemble des manifestants. Recueillons l’un de ses papiers qui sera placé sous scellé et dont une copie sera annexée au présent procès verbal de surveillance.» (Le texte, qui a été effectivement coté au dossier judiciaire, est reproduit ci-dessous)

«Aller !!!!! Maintenant ! Maintenant ! on y va !»

Les hostilités démarrent… par le déploiement d’une banderole, face à un barrage de CRS, «empêchant l’accès au palais des congrès où se tient le sommet des ministres de l’intérieur».

Selon les policiers, Julien Coupat est plus que jamais à la manœuvre:

 «Alors que nous nous tenons à quelques mètres de Julien Coupat constatons que celui-ci brandit son mégaphone à bout de bras et crie dans le micro « Aller !!!!! Maintenant ! Maintenant ! on y va ! ». Dès lors la dizaine d’individus porteurs de la banderole suivis d’une quarantaine d’individus dont le nommé Julien Coupat font éclater le cordon de sécurité de la CGT venant se positionner face au barrage fixe des forces de l’ordre à environ une dizaine de mètres (…). Ces actions donnent sans conteste l’impression d’être organisées et coordonnées.»

 

La tentative de tirage du véhicule des CRS, 3 novembre 2008. Julien Coupat n’apparaît pas sur cette image

 

Julien Coupat se lance alors, selon les policiers, dans une drôle d’entreprise, qui va beaucoup occuper l’enquête par la suite. Il essaie de tirer un des véhicules de police avec une corde:

«Observons Julien Coupat qui sort du rassemblement tenant à la main une grosse corde avec en son extrémité un mousqueton. Profitant du repli des CRS se trouvant en piéton et chargés de la protection du barrage généré par le jet de projectile ce dernier se porte au niveau de la grille de blocage de la rue installée sur l’un des deux véhicules barrant la rue, en l’occurrence celui de gauche et tente d’y accrocher la corde par son mousqueton. Julien Coupat échoue à sa première tentative puis essaie à nouveau et réussit à accrocher la corde. Immédiatement une dizaine d’individus se mettent à tirer sur la corde, Julien Coupat faisant de même.»

Julien Coupat est perdu puis retrouvé, quelques minutes plus tard. Apparemment, il est déchaîné.

 «Une fois sur cette place Julien Coupat tente alors de soulever de grandes grilles mobiles d’environ deux mètres de haut (…). Julien Coupat retourne alors vers le « coeur » des échauffourées avec les forces de l’ordre qui se situent dans la rue de Paris et alors qu’il progresse dans cette rue l’observons tirant un grand bac de fleurs en béton, le mettant au milieu de la chaussée et le cassant en le soulevant puis en le laissant tomber ce afin d’empêcher la circulation des véhicules dans la rue. (…) Observons alors que trois personnes se détachent du groupe d’individus et se portent à hauteur de Julien Coupat, après quelques secondes ces personnes reviennent à hauteur du groupe de manifestants qui se saisit alors de deux véhicules (…). Notons que la technique de déplacement des véhicules semble bien réfléchie (…). Notons que durant tout ce temps Julien Coupat observe comme nous la scène qui se déroule devant ses yeux en se tenant à une cinquantaine de mètres en retrait des émeutiers.»

En clair, le général Coupat a dirigé de près les opérations, ordonnant notamment de brûler les deux voitures (et il est très remonté contre les bacs à fleurs). Voici une vidéo des évènements, réalisée par le quotidien local La Montagne:

 

 

La SDAT n’ a pris aucune photo des affrontements. Vu la confusion, on le comprend. Ce qui est plus étonnant, c’est qu’elle n’a pris aucune photo de la manifestation du tout. C’est contre ses usages habituels. Toutes les images disponibles montrent d’ailleurs que de nombreux photographes sont présents.

Identifié «formellement»

Le lendemain, les policiers se rendent donc au centre de vidéosurveillance de la ville. Une caméra était située pile-poil sur les lieux. Ce qu’ils voient confirme en tous points leur surveillance physique, assurent-ils sur procès-verbal, avec un certain enthousiasme. Julien Coupat est identifié «formellement» – les policiers reconnaissent sa veste, décrite auparavant comme «de couleur gris clair au niveau des épaules et gris foncé au niveau du buste» et son écharpe «blanche mouchetée de foncé» – en clair, un «chech», dont on imagine la rareté dans ce type de manifestation… Cette vidéo a été tournée précisément sur le lieu des heurts:

 

Et puis les images fixes tirées de la vidéosurveillance par les policiers, avouons-le, sont très peu convaincantes: il fait nuit, les fumigènes polluent la vision et il est impossible de distinguer un manifestant d’un autre dans la cohue. Les enquêteurs entourent d’un cercle blanc un vague manifestant, le désignent d’une flèche, et l’affaire est dans la poche. Mais il est vrai que les images fixes rendent rarement justice aux vidéos.

Quoiqu’il en soit, la démonstration (policière) est faite: Julien Coupat a dirigé une action violente. Enfin.


Article original par Laurent Borredon publié le 26/06/2014

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#12

En octobre 2008, les policiers de la SDAT sont depuis six mois sur le «groupe Coupat» - une vingtaine de jeunes «anarcho-autonomes» au tournant de la trentaine, qui vivent entre Tarnac, Limoges, Rouen et Paris. Enfin, il va se passer quelque chose.

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