épisode

#9

Tout savoir, mais n’en rien laisser paraître

Les policiers de la SDAT ont mis du temps, mais ils sont maintenant à 200% sur le «groupe Coupat» - une vingtaine de jeunes au tournant de la trentaine, qui vivent entre Tarnac, Limoges, Rouen et Paris. Ecoutes, surveillances humaines et vidéo, leurs mouvements sont suivis de près.

Marabout-bout de ficelle… Les RG avaient bossé durant des mois sur le relationnel de Julien Coupat. La SDAT, voisine de bureau à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), connaît les notes produites, les noms des personnes mises sur écoutes. Mais ça, c’était le renseignement, l’administratif.

Quand on passe en judiciaire, il faut réinventer l’enquête, créer des liens tangibles entre chaque personne, sur procès-verbal, pour les magistrats. Repartir de zéro, presque. En fait, il faut feindre de repartir de zéro. Une vingtaine de personnes étaient nommées dans la note des RG de début 2008. La quasi-totalité d’entre-elles vont faire l’objet d’une recherche de renseignement par la SDAT. Mais pas parce qu’elles étaient citées par les RG, pas du tout. Uniquement parce que X a un lien avec Y, qui connaît Z, etc. D’ailleurs, le service de renseignement, devenu DCRI, est presqu’absent de ces PV.

«La nommée AT est associée dans cette entreprise»

Marabout-bout de ficelle… Logiquement, la SDAT commence par les heureux possesseurs des voitures observées à Tarnac et dans les environs. Ils sont sept (huit avec Julien Coupat):

   «Suite à la surveillance effectuée ce jour au lieu-dit Le Goutailloux à Tarnac (Corrèze), au cours de laquelle a été remarqué la présence, parmi d’autres, d’un véhicule (…) identifié au nom de : RM, Procédons à des recherches fichiers concernant cette dernière personne, lesquelles permettent de récolter ce qui suit: (…)»

Puis il y a les actionnaires de la SCI qui possède Le Goutailloux:

   «Vu les renseignements recueillis dans la présente enquête au sujet de la société civile immobilière Le Goutailloux, ayant permis d’établir que la nommée AT est associée dans cette entreprise, mentionnons que des recherches opérées (…), il appert que AT s’identifie comme suit:»

Parmi les actionnaires, une association. Ses membres sont également renseignés:

«Vu les recherches réalisées ayant permis d’établir que la nommée PC a été la secrétaire de l’association (…) du 19 janvier 2004 au 15 février 2006 (…), procédons à des recherches auprès des fichiers informatisés de police concernant PC desquelles il ressort que : (…)» [en l’occurrence, c’est d’ailleurs faux, les policiers se sont emmêlés les pinceaux dans les dates]

«Une relation amoureuse»

Mais il manque certains membres considérés comme importants dans le groupe. La méthode devient plus indirecte:

   «Vu les renseignements recueillis dans la présente enquête au sujet de la nommée AT (cf procès-verbal de renseignements relatif à la nommée AT en date du 14 août 2008), vu les recherches effectuées auprès de la Caisse d’allocations familiales de Tulle ayant permis d’établir que la nommée AT a eu une relation amoureuse avec le nommé MB, relation de laquelle est né le petit A. (…) Mentionnons que des recherches opérées au sein de la documentation spécialisée du service et dans les différents fichiers en fonction dans la Police nationale ainsi qu’auprès de la documentation des services administratifs, il appert que le nommé MB est susceptible de s’identifier comme: (…)»

Sur MB, les RG avait à leur disposition un luxe de détails (et une légère obsession pour Guy Debord)… Il était rien moins que le «leader de la mouvance anarchiste sur le campus de Rouen», un quasi-bras droit de Coupat dans la capitale normande.

Mais pour la SDAT, il est raccroché seulement par «une relation amoureuse».

«Constatons dès lors qu’un numéro est connu de notre base»

Cela peut-être encore plus indirect:

«Rappelons qu’au cours de la surveillance effectuées, le 24 juillet 2008, aux abords du lieu-dit Le Goutailloux, un véhicule de marque (…) identifiée au nom d’OH, avait été observé en stationnement dans la cour de ce hameau. (…) Ce même véhicule avait ensuite été observé en stationnement au pied du 6 rue XX à Limoges le 30 juillet 2008 et ce au cours de la surveillance effectuée aux abords de la gare de cette commune. (…) Afin de vérifier si ce stationnement au 6 rue XX était fortuit ou pas, effectuons des recherches au sein de l’annuaire électronique France télécom dans le but d’avoir la liste des abonnés à cette adresse. Muni de ces renseignements. interrogeons notre base de données téléphonique établie dans la cadre de la présente affaire. Constatons dès lors qu’un numéro de téléphone est connu de notre base. Celui-ci est le (…) identifié au nom de CB, demeurant 6 rue XX. (…) Dès lors, effectuons des recherches concernant ce CB.»

Pour l’appartement de 6, rue XX, à Limoges, dont la SDAT paraît découvrir l’existence presque fortuitement, grâce aux Pages blanches, les RG avaient prévu interceptions de sécurité et surveillances…

Deux sœurs de Rouen sont ciblées parce que Julien Coupat utilise la voiture… de leur père…

«Vu la surveillance opérée ce jour aux abords du 59, rue X à Paris ayant permis de constater que Julien Coupat utilise au cours de ses déplacements parisiens un véhicule de marque (…) propriété de M. A, véhicule susceptible d’être utilisé régulièrement par ses filles, les nommées CA et LA.»

… et non pas parce qu’elles étaient connues des RG: l’une d’elles avait été placée sur écoutes.

«Documentation spécialisée du service»

La suite des fiches est assez factuelle, loin du style des RG. Seuls deux d’entre eux ont droit à une partie «Sur ses activités subversives». Passés les renseignements administratifs, les documents ressemblent à une longue litanie d’interpellations à l’occasion d’ouverture ou d’évacuation de «squats libertaires» ou «anarcho-autonomes», à Paris et en province. Dès qu’elle sort des faits inscrits sur le fichier des infractions constatées (STIC, le grand fichier policier), la SDAT se hasarde rarement à citer précisément ses sources et évoque la «documentation de la police nationale», ou la «documentation spécialisée de la direction centrale de la police judiciaire», ou encore la «documentation spécialisée du service». Pour deux jeunes filles citées plus haut, le rédacteur s’avance un peu plus: «CA et LA sont connues de la documentation du service ainsi que de celle de la DCRI pour leur appartenance à la mouvance anarcho-autonome». Il s’avance un peu trop, peut-être. Officiellement, la SDAT n’a déclaré aucun fichier de police nominatif aux autorités compétentes…

Le réseau est (re)constitué. Entre quinze et vingt jeunes gens au tournant de la trentaine – la plupart d’entre-eux sont nés entre 1977 et 1983. Julien Coupat est de 1974. Quelques Suisses, pour la coloration internationale – les RG avaient pointé que «des activistes étrangers de l’extrême-gauche européenne, et notamment les ressortissants suisses [suivent six noms] transitent également par les sites du Limousin».

Maintenant, les écoutes et les surveillances vont pouvoir être mises en place.


Article original par Laurent Borredon publié le 21/06/2014

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Plus de trois mois après l'ouverture d'une enquête préliminaire sur Julien Coupat et ses amis, les policiers de la SDAT commencent enfin leurs investigations le 15 juillet. Mais qui sont leurs «cibles»?

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Les policiers de la SDAT ont mis du temps, mais ils sont maintenant à 200% sur le «groupe Coupat» - une vingtaine de jeunes au tournant de la trentaine, qui vivent entre Tarnac, Limoges, Rouen et Paris. Ecoutes, surveillances humaines et vidéo, leurs mouvements sont suivis de près.

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